Illustration : Garance (@garancebb)
« Maybe it’s a girl crush, maybe you’re queer. »
C’est une phrase de l’artiste Florence Given qui m’a profondément marquée.
J’ai un souvenir de moi, à 12 ou 13 ans. J’allais magasiner avec mon groupe d’amies. On était au Urban Planet (dans le temps où les skinny jeans de couleur étaient tendance, t’sais). Il manquait de cabines d’essayage libres, alors moi et mon amie Sarah avions pris la même cabine. Je me souviens de nous deux en soutien-gorge. Je me souviens à quel point je me suis sentie vulnérable devant elle. À quel point je me sentais bien avec elle. Peut-être que c’était juste parce que c’était la première fois que j’étais en sous-vêtement devant quelqu’un d’autre. Mais, peut-être aussi, parce que je ressentais quelque chose de plus fort que de l’amitié pour elle. Peut-être que c’est toutes ces réponses. Je sais pas.
J’en ai eu à la tonne, des girl crushes. Sarah était peut-être la première. Je ne le nommais pas comme ça. Dans ma tête, c’était une amitié intense. Une amie que je trouvais belle, que j’avais envie de protéger et de couvrir. Un peu comme un instinct maternel. Une grosse boule de chaleur dans mon ventre. J’aimais être importante pour elle. Je voulais qu’elle me trouve belle aussi.
Je me souviens de la fois où elle m’avait aidé à attacher mon collier. Je me souviens du contact doux de ses doigts contre ma nuque quand elle me tressait les cheveux. Mais pour moi, c’était de l’amitié. Une amitié intense ? Ma mère me disait souvent quand j’étais ado que c’était normal de parfois confondre de l’amitié avec de l’amour ou du désir. Que c’était juste un girl crush.
Dès le début de mon adolescence, je me suis interrogée sur mon orientation sexuelle. Mais, je me sentais déjà weird et pas comme les autres. J’avais pas envie d’être encore plus différente. Je voulais juste fitter dans le moule pour une fois. Ces questions sur mon orientation sexuelle me faisaient paniquer, alors je les enfonçais dans un petit coin de ma tête. Souvent, j’arrivais à les étouffer pis à masquer la panique que je ressentais face à mon attirance pour les filles.
Mais, d’autres fois, elles revenaient à l’attaque. Des questions comme : pourquoi est-ce que j’étais aussi déstabilisée de voir mes amies en pyjamas ou en maillots de bain ? J’essayais de me trouver toutes sortes d’explications, je me remémorais ce que ma mère me disait sur les amitiés intenses. Ça devait juste être ça. Juste des girl crushes.
Je me souviens encore des pyjamas party avec mes amies où je devais parfois passer en boucle mes explications bidons avant de pouvoir m’endormir, enroulée dans mon sleeping bag. Des fois où je scrollais mon fil d’actualités Facebook et que je tombais sur des photos de femmes en lingerie. J’essayais d’ignorer les petites étincelles, la chaleur au niveau de mon bas-ventre.
Puis, il y avait aussi les fameuses scènes sexuelles dans les séries pour ados (bon, par « scène sexuelle », je veux dire les trois minutes où la fille se met en brassière et le gars enlève son chandail, puis qu’ils s’embrassent jusqu’à la pause commerciale, avec une toune pop rock dans le background)… Je regardais principalement la fille. C’est pas que je ne le trouvais pas beau, le gars. Mais, pour moi, la fille en brassière était plus sexuelle.
Malgré tous ces signes, que je tentais fortement d’ignorer, je me percevais quand même comme une fille hétérosexuelle. Pis, je jouais le rôle de la fille hétérosexuelle à la perfection. J’étais la première à tripper sur les acteurs sex-symbol de l’heure. Et je le faisais savoir à tout le monde à quel point ces acteurs-là m’attiraient. Les p’tits commentaires quand Damon apparaissait à l’écran en écoutant Le journal d’un vampire. Les posters d’Alex Pettyfer dans ma chambre. Et toute le kit.
To be fair, j’étais réellement attirée par Alex Pettyfer et Damon le vampire ténébreux. Mais, avec le recul, je réalise qu’en exprimant haut et fort mon attirance avec les garçons, adolescente, j’essayais aussi de chasser les soupçons qu’on pourrait avoir à mon égard. Des soupçons sur ma bisexualité, mettons. J’avais peur qu’on lise à travers moi. Je me sentais comme une fraude, comme si je fakais mon hétérosexualité.
Pis, si d’un côté, j’avais l’impression de faker ou d’exagérer mon attirance envers les garçons, y avait aussi une partie de moi qui me demandais si je fakais pas plutôt mon attirance envers les filles. Dans le sens où ça serait pas normal à la base de trouver les filles les plus belles ou plus sexuelles ? On est tellement habitués de voir les femmes sexualisées. Il n’y a pas grand chose de non sexuel chez les femmes, à cause du capitalisme et du patriarcat. Nos lèvres, nos seins, notre ventre, nos cuisses, nos fesses, nos jambes… Tout y passe, t’sais.
Donc, est-ce que c’est vraiment étonnant que je considère les femmes comme étant plus sexuelles que les hommes ? Est-ce que ça ne serait pas plutôt une sorte d’adhésion au male gaze, c’est-à-dire ce réflexe de percevoir le monde à travers une vision d’homme hétérosexuel ? Ou de l’auto-érotisme ? Du genre : est-ce que je veux coucher avec elle ou je veux juste être elle ?
Y a-tu des filles attirées par les hommes qui préfèrent regarder l’homme dans les scènes sexuelles ? Je demande pour une amie. Parce que moi, ça n’a jamais été le cas. La plupart des gars ne sont pas vraiment sexuels pour moi. Leur désir, leur attitude, leur amour vis-à-vis de moi, oui. Leur manière de me faire sentir désirable et féminine, oui. Mais, physiquement, ils m’excitent moins que les filles.
Et pourtant, j’ai eu plein de crushes sur des gars. Je fantasme souvent sur le fait de coucher avec eux. Je vais les trouver beaux, je vais avoir envie de les séduire. Mais, on dirait qu’en ce moment, je me questionne sur les crushes que j’ai eus. Est-ce que c’était vraiment eux que je désirais ? Ou la validation qu’ils me donnaient ? Ado, j’estimais ma valeur en fonction du regard des gars. Je voulais qu’ils me trouvent belle et cool. Je voulais qu’ils m’acceptent. Je voulais faire partie du groupe.
Je me suis souvent sentie inadéquate. Les filles hétéros autour de moi tombent si facilement amoureuses. Moi, c’est pas mon cas. Je vois juste pas l’intérêt d’être avec un homme dans un contexte amoureux. Même si on aurait des intérêts en commun et que je me sentirais à l’aise d’être moi-même avec lui, il manquerait quelque chose. Je sais pas vraiment quoi.
Est-ce qu’il n’y aurait pas aussi une partie de moi qui n’est tout simplement pas intéressée romantiquement par les hommes ? Est-ce que je force un rond dans un carré, pis que finalement, je suis pas hétéro ? Je me suis souvent dit que c’était juste que j’avais un style d’attachement évitant et une peur de l’engagement. Ou une peur d’être en amour. Tout ça pour expliquer ce sentiment de panique qui m’envahit dès que j’ai l’opportunité de sortir avec un gars.
Mais c’est peut-être pas ça… ou du moins, pas juste ça. Je suis cynique en amour, c’est vrai. Sauf que ces temps-ci, je vois plein de couples hétérosexuels sur les réseaux sociaux, et j’arrive juste pas à voir ce que la fille peut trouver au gars, physiquement ou en général. J’en viens même à douter de leur bonheur. C’est fou à dire, mais genre… je me dis même « Pauvre elle ». Je suis incapable de voir comment elle peut être heureuse avec lui.
Et je me dis… et si c’était de la projection ? Et si j’étais confuse par les couples hétérosexuels, parce que ça ne m’intéresse tout simplement pas d’être en couple avec un homme. Peut-être que c’est le temps pour moi de m’écouter. D’arrêter de me couper de mes besoins et de mes sentiments, comme je l’ai fait depuis l’adolescence. D’arrêter de minimiser mon attirance pour les femmes.
What can I say ? Je suis bisexuelle as fuck. J’ai pas des girl crushes, j’ai des crushes point final. Je ne suis pu l’ado qui a peur d’être une outcast. Pis, c’est tough de concevoir que je peux être intéressée par les hommes et les femmes, mais d’une manière différente. Tough de pas me gaslighter, de ne pas minimiser mes sentiments d’un côté ou de l’autre. Parce que la majorité du monde le fait. Mais, de plus en plus, j’apprends à me voir telle que je suis réellement. Alors, quoi dire ? Je suis celle qui trippe autant sur les vampires ténébreux que sur Kristen Stewart !
Daria
Étudiante en relation d’aide, Daria change de couleur de cheveux plus souvent qu’elle renouvelle sa passe d’autobus. Elle a soif de justice sociale et d’équité entre toustes en plus d’être drivée par les concepts de charges sexuelle et émotionnelle des femmes (cis ET trans). P.S. : sa Totally Spies préf, c’est Clover.