Illustration: Florence (@femmes.sauvages)
Dès les débuts on s’est aimé.e.s. Plus qu’aimé.e.s même, on s’est lié.e.s. Trop hopeless romantics pour s’imaginer que ça pourrait peut-être mal finir. C’était plus fort que nous, mais ça c’est trop tard qu’on l’a réalisé. Après avoir épuisé les excès de notre love bombing. Une fois que nos tourments réprimés se sont imposés. Reste que plus souvent qu’autrement, je me laisse bercer par les souvenirs de nos désillusions passionnelles. Parce que c’est apaisant d’écrire sur le temps où on savait s’illuminer. Ça me rappelle que le beau de notre relation cessera jamais d’exister.
Il était magnétique. Le genre de personne qui m’a toujours attirée. Insouciant. Loud. Drôle. Extravagant. Passionné. Intense. You name it. Il avait ce genre de personnalité qui passe jamais inaperçue, qui prend ben de la place, mais jamais trop. Il avait le don de te mettre à l’aise, de s’intéresser à tout avec sincérité et de donner les réponses justes à tes questions. C’était un gars mystérieux. Il en donnait juste assez pour te garder captivé.e, mais jamais trop pour te faire débuzzer. Il avait des plans pour l’avenir qui faisaient rêver, des valeurs familiales près du cœur. C’était quelqu’un de loyal et d’attentionné, il avait l’art de se dévouer. Sa nature caméléon le rendait particulièrement aimable aux yeux de tous. Il faisait l’unanimité.
Il était mien.
Dans les premières fois qu’on s’est rencontré.e.s, j’ai ressenti quelque chose d’inexplicable, mais familier. Un souvenir flou accompagné de cette impression de le connaître depuis toute ma vie. Ça se sentait, et pas juste pour moi. Lui aussi n’avait jamais réellement désiré quelqu’un avec tant de certitude. Je possédais quelque chose qui le gardait captivé, qui le faisait palpiter. C’était indéniable, en la présence de l’autre, on avait des étoiles dans les yeux.
J’ai tout de suite su que j’allais laisser mon chum du moment pour lui, même si en réalité ça restait compliqué. Parce que lui et moi, on était inévitables. Pour le meilleur, et pour le pire.
Notre histoire a commencé comme pas mal d’autres. Les fins de semaine dans les bars, accompagné.e.s de nos ami.e.s commun.e.s. Sans même se texter, je savais qu’il allait être là (je faisais tout pour être là) et il savait que j’allais être là (il faisait tout pour être là). Malgré tout, une fois arrivé.e.s là-bas, on aimait toujours se faire croire qu’on cherchait pas l’attention de l’autre. C’était stimulant de faire comme si je voulais rien savoir de lui, même si toutes les parties de moi avaient besoin de sa douce familiarité. Je lui faisais toujours des bises sèches et restais loin de sa table, il regardait rarement dans ma direction et se ménageait dans nos interactions. Faut dire que j’aimais me faire désirer et qu’il était orgueilleux. Ça restait un jeu. Un jeu pour voir qui allait être en mesure de résister le plus longtemps à la tentation, d’éviter de craquer. J’ai jamais aimé les jeux de société, mais ça, j’aurais pu y jouer pendant des années. Tout faire ce qui est en mon pouvoir pour capter son attention. Addicts aux dating games qu’on s’était tous les deux imposées.
C’était toujours la boisson qui nous trahissait. Il aimait faire le premier contact en me payant des verres. Les yeux ancrés sur les miens quand on enfilait des shooters beaucoup trop chers, un chuchotement voilé pour me dire combien il pouvait pas me résister. Ça m’excitait de le refuser, même si j’y parvenais jamais. Parce qu’une fois les lèvres bien salées, ça prenait pas de temps avant que je me laisse emporter par l’insouciance de me retrouver à ses côtés. L’ivresse nous amenait sur la piste de danse à vibrer avec l’autre en oubliant qu’on s’était ignoré.e.s une bonne partie de la soirée. Criss que j’ai jamais dansé comme je l’ai fait avec lui. C’était chaud, enivrant, intoxicant. Je rêvais de tout ce qu’on pouvait s’offrir, à fantasmer sur la prochaine fois qu’on allait se retrouver. Ma tête était constamment envahie par lui, par son corps, par sa vibration. Plongée dans une vague d’inspiration où toutes mes lettres lui étaient dédiées.
On s’est abandonné.e.s dans la réciprocité mutuelle de notre attraction sans résistance. Enivré.e.s l’un.e dans l’autre, à faire l’amour après chaque soirée et à confesser tout ce qui nous passait par la tête. Rassasié.e.s par notre complicité et l’intimité qui y était associée. Oh, combien je trouvais sa peau plus douce que celle des autres. Il était plus attentif que les autres, plus profond que les autres, plus passionné que les autres. C’était simple de s’entrelacer dans les mots qu’il pouvait pas s’empêcher de murmurer. La première fois que je t’ai vue, je savais que je voulais être avec toi, que je te voulais juste pour moi. On est trop vrai.e.s pour être faux, je pense qu’on s’est déjà aimé.e.s.
On se comprenait. On finissait toujours les phrases de l’autre, se touchant systématiquement le bout d’index et se chuchotant you complete me. Il y avait une sorte de réconfort dans notre fusion. Jamais on se reprochait notre intensité que nos autres relations avaient auparavant négligée. D’emménager ensemble à une vitesse ahurissante, parce qu’on pouvait pas attendre une seconde de plus pour passer le reste de notre vie à deux. De se couper du monde extérieur pour passer chaque jour en la présence de l’autre, toujours en quête de nouvelles aventures, à flamber notre argent dans les plaisirs éphémères. De se dire après quelque temps seulement qu’on ferait tout pour l’autre, et qu’on avait finalement trouvé un sens à notre vie. Le sens, c’était nous. Too much ? Never too much. On riait au visage de nos proches qui questionnaient notre rythme expédié.
On était à l’image d’une douce perfection, incarnée dans nos versions idéalisées sans conflit, sans tension, sans remise en question. Rassuré.e.s par la possibilité d’un tout avec l’autre et pris.e.s dans la dualité de se sentir indéniablement compris.e.s par l’autre, sans savoir qui on était réellement nous-mêmes. De quoi d’envoûtant et d’insécurisant à la fois, ça on le savait. Et l’instant d’un moment, y’avait rien de plus vrai que ça, notre amour aveuglé par toutes les forces sous-jacentes qui nous poussaient l’un vers l’autre.
Mais, je pense que j’aurais dû me douter qu’on était trop beaux pour être vrai.e.s. Que ça prenait plus que de l’amour démesuré pour établir une relation saine. Et qu’à force de s’oublier dans l’autre, on a fini par devenir rancunier.ère.s de cette fatalité. Ça, je l’ai compris après notre premier vrai conflit. Où, malgré notre connexion qui nous venait naturellement, tout le reste ne venait pas. Laisser nos orgueils de côté, communiquer nos besoins, nos limites, faire confiance à l’autre, pas se sentir inadéquat.e.s. On en était incapables. Nos insécurités prenaient souvent le dessus. Défigurant la réalité à coup de peurs d’abandon, nous criant chaque fois qu’on serait jamais assez vulnérables pour se laisser aimer à long terme.
Je me souviens plus exactement de quand ça a dérapé pour nous, de notre point de non-retour. Ça reste flou, cette partie de notre histoire remplie de contradictions. De hauts, de bas, de chicanes, de pardons, de larmes et de frustration. J’ai encore de la difficulté à l’écrire, à en parler ou tout simplement à y faire face. Parce que j’aurais tout fait pour échapper à notre fin que jamais j’aurais cru inévitable. Même si je réalise maintenant avec du recul que l’impossibilité de notre histoire est ce qui la définit. Reste que si j’avais connu notre fin, je me serais accrochée à nous et je nous aurais tué.e.s dans l’élan de notre beauté.