Illustration : @femmes.sauvages
Je ne sais pas si vous avez déjà écouté le film Ella l’ensorcelée. En gros, c’est une parodie de Cendrillon où Ella (Anne Hathaway) reçoit à la naissance un don d’obéissance qui la force à accomplir exactement toutes les requêtes qu’on lui demande. Je m’identifie beaucoup à ce personnage-là et je vais vous expliquer pourquoi.
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Enfant, j’avais envie d’appartenir à quelque part, de me sentir normale, d’avoir des amies, tsé. Pis, dans ma tête, je n’étais pas assez cool pour que d’autres personnes veulent être mon amie. Alors, je laissais les autres enfants, ou mes « amies », me traiter un peu n’importe comment. On me demandait quelque chose, et je le faisais.
Je me sentais trop mal de dire non. J’avais peur de décevoir. Je me retrouvais toujours à dire oui pour ne pas déplaire. J’avais l’impression que j’pourrais juste être intéressante si je faisais tout ce qu’on me disait. Et de toute manière, quand j’essayais de dire non, les gens insistaient et me traitaient de poche et de pas cool jusqu’à ce que je cède. Pire encore, une de mes amies du primaire me menaçait toujours de ne plus être mon amie si je ne faisais pas ce qu’elle voulait. Faque je le faisais.
Je prêtais mes crayons de couleur qui avaient coûté une beurrée à mes parents, même si ça me tentait pas. L’hiver, je surveillais le fort que mes amies et moi avions fait pendant qu’elles allaient jouer ailleurs, juste parce qu’elles me l’avaient demandé.
J’ai jamais vraiment choisi mes ami.e.s. Au secondaire ou au cégep, je me tenais pas mal avec celleux qui m’abordaient en premier. Des fois je faisais des super belles rencontres. Mais, des fois, je me sentais pognée aussi dans une amitié que je ne voulais pas vraiment. Le genre d’amie qui m’utilisait comme une bouée de sauvetage, qui avait constamment besoin de mon réconfort et mes conseils. Mais quand moi j’avais besoin d’une oreille… bien, elle n’était pas là.
J’ai jamais vraiment choisi mes chums, non plus. J’ai pris les premiers venus. Je me sentais mal de dire non. Dire non, parce que je ne le trouvais pas beau, pis passer pour la fille superficielle qui lui donne pas sa chance? Dire non, parce que je le voyais juste comme un ami, et me faire dire que c’est pas correct de le friendzoner, pis que je lui ai fait perdre son temps?
Faque quand un gars m’avouait ses sentiments pour moi, je lui donnais une chance, parce que je ne voulais pas le blesser. Parce que je ne voulais pas être la méchante qui disait non. J’aurais peut-être dû être moins gentille avec lui, comme ça il se serait pas imaginé que j’étais intéressée à sortir avec lui. J’avais quand même un peu flirté avec lui? Ouain, mais j’étais juste bored puis un tout p’tit peu horny. Ah pis d’la marde, peu importe ce que je faisais, ils s’imaginaient ce qu’ils voulaient. J’étais prise au piège.
Je suis sortie deux ans avec mon ex. Et chaque jour, la possibilité de le laisser occupait mes pensées. Chaque jour, j’essayais de me rassurer sur notre couple. Des fois, je réussissais à me mentir à moi-même, à me dire que tout allait bien. Que si je paniquais, chaque jour, c’était juste parce que tsé je suis une fille un peu drama queen. Je suis hypersensible, ça doit être pour ça?
Mon corps au complet me lançait des signaux d’alarme. Des fois, mon ventre était tellement noué que j’en avais mal au cœur. En revenant de chez lui, ça m’arrivait de brailler pendant tout le trajet d’autobus, tellement j’étais anxieuse. Tellement je me sentais zéro en contrôle de ma vie. J’étais toujours épuisée, fatiguée par le sentiment de panique qui m’animait constamment. J’avais pu de libido. Je lui donnais des excuses pour ne pas coucher avec lui, mais il finissait par me faire céder, à force d’insister, de me harceler.
Je ne disais pas non, c’est vrai. Mais, je ne disais pas vraiment oui, non plus. Je finissais juste par céder à ses avances, pour m’acheter la paix. Dire oui, pour cesser de se faire harceler, ce n’est pas un vrai oui. Parce qu’au final, j’avais pas vraiment l’impression d’avoir le choix d’avoir des relations sexuelles avec lui ou pas. Il me l’a pas donné, ce choix-là. Ses paroles et ses comportements étaient en fait de la coercition sexuelle.
Quand on couchait ensemble, il essayait toujours de refaire des positions sexuelles qui me faisaient mal. Fallait toujours que je lui rappelle. Encore et encore. Ça me fait mal. Mais le pire dans tout ça, il chignait quand ça faisait à peine plus d’une minute qu’il me doigtait, parce que ça lui faisait mal aux doigts. Mon plaisir était crissement pas mis au premier plan.
J’avais jamais d’orgasmes pis il expliquait ça par le fait que mon corps pouvait pas en avoir. Parce qu’il avait lu ça sur Reddit. Quand je lui expliquais que ça avait pas rapport, il se donnait comme mission de me faire venir. Mais, encore là, il était centré sur lui et sur sa performance. Pas sur mon plaisir. Faque moi, je ravalais ma déception pour protéger ses sentiments. Je prenais sur moi et je faisais semblant d’avoir eu un peu de plaisir, parce que je ne voulais pas lui causer de l’anxiété de performance.
Tout était toujours par rapport à lui pis ce que lui aimait. Je ne choisissais jamais les films qu’on regardait ou les restos où on allait. On écoutait toujours les mêmes criss de tounes EDM de ses playlists. J’acceptais de voir ses amis, même s’ils ne m’aimaient pas pantoute. Il le savait et s’en foutait; il voulait juste pas être le seul gars sans sa blonde durant leurs chilling d’amis.
J’avais pas le courage de m’avouer que je n’aurais pas dû sortir avec lui. Je voulais pas être la fille hypocrite qui se questionnait sur notre couple, pendant que lui ne se doutait de rien et vivait le grand amour (du moins, c’est ce que je croyais). Je lui disais tout le temps que je l’aimais, pis oui, il y a une partie de moi qui l’a vraiment aimé. J’avais quand même l’impression de mâcher du verre en prononçant ces trois mots, parce que ces mots-là, je les disais aussi pour me convaincre moi-même.
J’t’une heartbreaker, j’me disais dans ma tête. Je vais le ruiner émotionnellement. Il devrait pas me faire confiance. Je m’imaginais le laisser, je m’imaginais lui briser le cœur. Lui, en petite boule, qui pleure. Les scénarios tournaient dans ma tête, pendant que mes larmes à moi coulaient sur mes joues. Alors, je continuais de placer son bonheur avant le mien, par peur de lui nuire. Une fois de plus.
J’ai quand même fini par le laisser. J’en avais assez d’être malheureuse. Assez de me mentir à moi-même. Assez d’accepter sa médiocrité comme une fatalité. Bon, j’suis pas Anne Hathaway et on n’est pas dans Ella l’ensorcelée. Il n’y a pas eu de scène dramatique où j’essaye de pas tuer Hugh Dancy, tout en ordonnant à mon reflet dans le miroir de ne plus jamais être obéissante. J’ai pas non plus chanté Somebody to Love avec des géants, malheureusement.
Mais, il y a quand même eu la scène où j’ai décidé chez la coiffeuse de changer radicalement de coupe de cheveux, c’est-tu suffisamment de drama pour vous? Genre, ça m’a quand même coûté 300 piastres!
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Non, mais plus sérieusement, ce que j’ai vécu avec mon ex m’a donné le courage de m’affirmer davantage. Et si vous aussi, vous avez une p’tite Ella intérieure qui panique à chaque fois que vous voulez dire non, perdez pas espoir. Je sais que c’est tough. Je sais que, quand on a peur de dire non, bien nos « non » sont tout petits et les autres en profitent pour nous les faire ravaler. Et je sais que ces « non »-là font crissement mal quand on les ravale.
Mais, plus vous vous affirmerez, plus vous vous entourerez de gens qui vous aimeront pour qui vous êtes réellement et pas juste pour les quarante millions de faveurs que vous pourriez leur faire. Des gens qui respecteront même les plus petits de vos « non ». Mais, ça doit d’abord venir de vous.
Vous faites partie de la royauté, ne l’oubliez jamais. Faque je vous invite à envoyer chier royalement le monde qui vous exploite pis qui respecte pas vos limites.
Daria
Étudiante en relation d’aide, Daria change de couleur de cheveux plus souvent qu’elle renouvelle sa passe d’autobus. Elle a soif de justice sociale et d’équité entre toustes en plus d’être drivée par les concepts de charges sexuelle et émotionnelle des femmes (cis ET trans). P.S. : sa Totally Spies préf, c’est Clover.