Illustration : (@viraesworks)
J’ai grandi entourée de personnes qui trouvaient pas ça si important de me dire que des seins, c’est tout sauf ronds. On m’a laissé croire que ce que je voyais au travers des chandails des femmes, c’était ce que j’allais avoir un jour. Deux grosses boules bien rondes. Ce que je savais pas, c’est qu’en dessous d’une brassière, il y a place aux illusions.
Toutes sortes d’illusions…
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Si vous saviez à quel point j’ai attendu que mes seins arrivent… Ça a été pire que de patienter pour le jour de Noël, parce que le 25 décembre a eu le temps de passer au moins treize fois avant que je voie bourgeonner un début de seins. J’avais hâte d’avoir une craque et de pouvoir porter un beau chandail décolleté. Je voulais faire tourner des regards. Je voulais qu’on me trouve jolie.
Je voulais être une femme. Du moins, ce que je croyais que ça impliquait.
Au début du secondaire, je mettais des brassières AA parce que je voulais en porter une comme tout le monde. Même si j’avais rien pour remplir les bonnets, j’en mettais une pareil tous les jours. Anyway, je voulais pas me faire dire quoi que ce soit quand on se changeait pour le cours d’éducation physique.
Je voyais toutes mes amies avoir des seins pis je comprenais pas pourquoi les miens arrivaient pas. J’étais devenue jalouse de tout le monde. Messemble que même les gars avaient plus de seins que moi! Je pense que j’ ai développé une obsession tellement j’étais complexée. J’y pensais tout le temps pis j’avais peur qu’ils n’arrivent jamais. J’avais tout le côté poche de la puberté, sans aucune récompense en retour : acné, poils, odeur, cheveux gras. Tout ce que je voulais, c’était d’avoir des seins pis mes règles.
Mes règles sont peut-être jamais vraiment arrivées (ouin… Restez à l’affût, ça sera peut-être un sujet pour un prochain texte!), mais à un moment donné, mes seins se sont mis à pousser. Enfin! Je franchissais une étape vers ma féminité. J’allais enfin pouvoir m’épanouir…
Sauf que j’ai vite regretter d’avoir mis autant d’énergie à attendre ce moment-là. Quelle ne fut pas ma surprise de voir que mes seins poussaient… en triangle. En triangle! Deux cônes pointus toé chose!
Voyons donc! J’avais jamais vu ça de ma vie… C’était comme si mes mamelons étaient sul bord de percer mes chandails. C’était tellement gênant que j’osais même pu me promener chez moi sans brassière, même si j’étais juste en pyjama. J’avais peur qu’on me regarde. Je voulais juste retourner en arrière, dans le temps où j’avais un chest ben plat. J’avais l’impression de me développer avec un défaut de fabrication sans rien pouvoir retourner au magasin. Pas de remboursement possible. J’étais prise avec mes seins pointus.
Même si j’étais pas satisfaite, j’avais quand même eu ce que je voulais (t’sais!). En guise de récompense de mes nouveaux attraits, ma mère m’a accompagnée dans une vraie boutique où l’on vend rien que des soutiens-gorges. Il y en avait pour tous les goûts, toutes les tailles, tous les prix. J’ai eu un peu le vertige en entrant dans le magasin. Les murs étaient bondés de pads colorés et d’armatures coquettes. Je savais pas comment j’allais faire pour me trouver une brassière parmi tous ces modèles. Je me sentais perdue. Et gênée. Très gênée…
Une vendeuse m’a aidée à trouver des modèles selon ma morphologie. Il a bien fallu qu’elle me regarde pour commencer quelque part! Une chance que j’étais tout habillée, parce que je me sentais déjà mal à l’aise de même! Je ne suis pas habituée qu’on me décortique le corps des yeux aussi intensément. Je suis plus le genre de personne qui préfère rester entre la tapisserie pis le mur. Déjà que j’aimais pas la façon dont mes seins poussaient, ce qu’elle m’a dit a eu l’effet d’une bombe dans mon estime :
— Tes seins sont très éloignés l’un de l’autre. Il te faudra donc une armature plus large pour prendre l’intégralité de ta poitrine et essayer de les ramener l’un vers l’autre. Ça ne te donnera jamais un « beau décolleté », mais au moins ils ne se perdront pas de vue!
Tout ce que j’entendais c’était que j’étais pas normale. Que j’étais trop large. Que j’allais jamais avoir de craque de seins de toute ma vie. Déjà que j’avais deux triangles à la place des seins, j’apprenais qu’ils poussaient chacun de leur côté! Comme s’ils ne voulaient rien savoir l’un de l’autre… Ben moi non plus, je ne voulais rien savoir d’eux!
Ouch…
Et la remarque ne venait même pas de moi! Si une pure étrangère a pu s’apercevoir que j’étais pas comme toutes les filles, ça voulait dire que tout le monde pouvait le remarquer aussi…
En plus, ça venait pas de n’importe qui. Cette madame-là doit en avoir vu, des seins, dans sa carrière. Elle doit savoir repérer des beaux seins pis des seins fuckés comme les miens.
Ça m’a pas pris longtemps pour que je me mette à porter juste des chandails super amples. Je voulais pu que personne puisse analyser quoi que ce soit de mon corps. Le fameux « coton-ouaté » est vite devenu mon meilleur bouclier. J’en portais un à longueur d’année, peu importe la température. J’ai même arrêté de porter des chandails en dessous tellement j’étais certaine que j’allais jamais l’enlever. Avec ça, personne pouvait voir en quoi je me transformais. En plus, ça me donnait toujours du lousse pour un bourrelet ou deux de plus sur le ventre que personne pourrait remarquer. Je voulais me cacher, cacher mon corps qui se transformait en quelque chose de dégoûtant. Je n’avais pu à m’inquiéter de ce que pensaient les gens de mon image, parce que j’en avais pu.
J’aurais voulu disparaître. Je me reconnaissais pas dans mon corps et ça me freinait pour faire plein de choses. J’ai jamais osé rejoindre l’équipe de volleyball de mon école, même si je suis sûre que j’aurais aimé ça. J’ai arrêté de faire du théâtre et j’ai même abandonné le projet de vouloir pogner auprès des gars (je me permettais même pas de m’interroger sur mon orientation, imaginez!). J’ai jamais osé flirter avec qui que ce soit par peur de devoir me dévoiler éventuellement. Je ne voulais pas imaginer le moment où j’allais devoir me mettre nue devant quelqu’un. J’avais trop peur que la personne s’en aille en courant en me voyant vraiment. Je me disais que j’étais mieux de même pas essayer. À l’école, je faisais ce que j’avais à faire dans la journée et, quand c’était fini, je retournais chez moi, bien à l’abri des regards et des jugements.
Une des situations qui m’a aidé à me sentir un peu mieux dans mon corps a été de voir les seins d’une de mes amies. C’est arrivé par accident (je vous le jure!), mais franchement, ça m’a été vraiment utile! Quand j’ai vu ses seins, j’ai réalisé qu’elle avait le même genre de seins que moi. Pas exactement pareils, mais assez similaires… (Merci, les cabines d’essayage avec un petit rideau de tissu!)
J’ai commencé à me rendre compte que j’avais des standards de seins pas possible. Y’a personne qui a des grosses boules bien rondes. Des seins naturels, ça a toutes les formes pis toutes les grosseurs. Depuis le début, je voulais juste être normale… Maintenant, je le sais que je l’ai toujours été, à ma façon.
Moi qui voulait à tout pris être une femme… J’ai compris que l’image que j’avais d’une femme à l’époque était très simpliste. Y’a autant de modèles que de personnes sur la Terre!
Encore aujourd’hui, je sais qu’il me reste beaucoup de chemin à parcourir pour atteindre une acceptation de mon corps qui soit satisfaisante à mes yeux. Malgré tout, je trouve que j’ai quand même un avancement. Je sens que j’ai plus besoin de travailler sur ma tête pour arriver à m’accepter, et ce, peu importe mon apparence. J’ai envie de me reprendre pour toutes les années où j’ai arrêté de vivre. Je ne veux plus m’empêcher de faire des choses par peur d’être jugée sur ce que je suis. Lentement, à mon rythme, je progresse vers une acceptation bienveillante et je crois que c’est ce qui est important.
Forteresse
Forteresse est étudiante en études littéraires et, malgré elle, spécialiste des burn-out précoces. Complètement mordue de lecture, elle prend plaisir à faire des recommandations à ses ami.e.s sous forme de document excel bien détaillé. Elle est féministe parce qu’elle n’en peut plus de subir des violences médicales et surtout parce que… crime, il le faut!