Illustration : Anie-Jade (@anieglaze)
La nouvelle saison d’Occupation Double a été lancée récemment et j’aimerais revenir sur le meilleur moment de la saison dernière : lorsque Cinthia et Marjorie se sont affichées comme un couple. J’avais eu les yeux pleins d’eau de voir ça, à heure de grande écoute sur une chaîne populaire québécoise. Deux femmes (racisées en plus!), qui entrent dans les stéréotypes de beauté féminine, qui avaient des possibilités de relations avec des hommes, se sont choisies dans un jeu de séduction hyper hétéronormatif. J’ai pleuré parce que j’étais représentée dans mon orientation sexuelle à la télé, que je m’identifiais à leur questionnement quant à la signification de leur attirance (nouvelle) pour les femmes, de leurs sentiments l’une pour l’autre. Mais je ne veux pas vraiment vous parler d’OD. Je veux insister sur l’importance de la visibilité queer.
J’ai été hétéro longtemps. Je n’ai jamais douté de mon attirance pour les hommes. Et toute l’attirance que je pouvais ressentir pour les femmes, je me disais que c’était banal. J’avais embrassé des amies, eu des girl crush sur des célébrités, mais ce n’est pas avant que des amies se déclarent bisexuelles haut et fort que j’ai commencé à me poser des questions, à avoir des rêves érotiques plus réels, à vouloir peut-être essayer, explorer les relations romantico-sexuelles avec des femmes. Il faut dire que j’ai été en couple monogame avec un homme pendant plusieurs années. Une fois célibataire, j’ai exploré ma sexualité… et mon orientation sexuelle.
Je m’identifie maintenant comme bisexuelle, mais le terme pansexuelle ne me dérange pas non plus. La différence ? Chaque personne peut avoir sa propre définition et c’est legit, mais celle que je vois souvent, c’est : La bisexualité est l’attirance envers plus d’un genre. La pansexualité, c’est quand le genre d’une personne ne rentre pas en ligne de compte dans l’attirance physique et/ou romantique. Les deux orientations sont inclusives des personnes trans et non-binaires. La bisexualité est un terme qui existe depuis plus longtemps que la pansexualité. Fin du cours.
Dans les médias de masse, dans les émissions de télévision et dans les films, j’ai rarement vu des personnes bi/pan affirmées. Parfois, il y avait des allusions au fait qu’une personne serait intéressée par plus d’un genre, comme le personnage d’Eleanor Shellstrop dans The Good Place, mais on ne le montre jamais. Ou encore Lucifer qui parle ouvertement de ses relations sexuelles sans complexe, sans toutefois nommer une orientation spécifique. En outre, dans plusieurs émissions, le personnage renie ses relations passées pour “devenir” homosexuel.le. Je pense au personnage de Sol dans Grace and Frankie qui divorce de sa femme après 40 ans pour être avec un homme en s’identifiant comme homosexuel. Pourquoi il ne serait pas bisexuel, lui qui a sincèrement aimé Frankie (son ex-femme) et qui a même une relation sexuelle avec elle dans un épisode? C’est malheureusement ce qu’on pas constate dans les séries : les trames narratives obligent à choisir entre l’hétéroseuxalité ou l’homosexualité, en ignorant la bi/pansexualité. De manière générale, les médias montrent des “coming-out” soit à l’adolescence, soit à un âge plus mature, comme si c’était les seuls scénarios possibles : s’affirmer jeune ou se mentir jusqu’à rencontrer la personne qui nous fait briser notre mariage hétéro.
L’affaire, c’est que dans la vraie vie, ce n’est pas obligé de se passer comme ça, d’être dramatique. Tu peux affirmer ton orientation sexuelle à n’importe quel âge. Tu n’as pas à renier la sincérité de tes relations passées, de tes attirances révolues. Tu peux même changer d’orientation sexuelle au cours de ta vie parce que c’est fluide. Le coming-out avec une grosse discussion qui finit en pleurs comme il y a trop souvent dans les émissions pour ados, – tsé, avec la-le jeune qui se pratique devant le miroir – c’est pas obligatoire. À OD, voir Cinthia annoncer tout simplement sa pansexualité aux filles m’a tellement émue. C’est un beau modèle à mettre de l’avant, autant pour les personnes queers qui veulent partager leur réalité à leurs proches, qu’à ceux qui ne savent pas comment réagir. Bien sûr, certains entourages resteront fermés et créeront le drame sans que la personne concernée puisse faire quoi que ce soit. Je crois pourtant que plus on verra des scènes d’affirmation d’orientation ou d’identité sexuelle simples et aimantes à la télévision, plus ce sera normalisé. Et plus il y aura de personnages queer sans que leur trame narrative tourne autour de leur queerness, plus les médias seront inclusifs en somme, plus ce sera facile d’être queer.
Heureusement, je n’ai pas eu que les modèles présentés dans les médias pour construire mon identité sexuelle. J’ai eu la chance d’avoir des amies-modèles extraordinaires. Des femmes qui m’ont partagé leurs questionnements et leurs premières expériences avec d’autres femmes sans tabou, en s’affirmant, même si c’était considéré “tard” dans leur vie. Je me suis questionnée en silence jusqu’à ce qu’une amie me regarde dans un party et me dise : “Si tu étais bi, je t’embrasserais tellement”. J’ai voulu dire oui, mais quelqu’un nous a interrompues. J’avais déjà embrassé des femmes, mais jamais “sérieusement”. Un mois plus tard, je me confiais au milieu d’un party féministe et je repartais avec une femme pour la nuit. Awesome. Mes amies, au party, m’ont encouragé à m’assumer. Et la jeune femme qui m’a séduite m’a fait sentir incluse dans la gang queer. Même si je n’avais pas besoin d’avoir une relation sexuelle ou romantique non-hétéro pour être bisexuelle, ça m’a confirmé à moi-même que j’étais valide.
Ce qu’il faut aussi mentionner, c’est qu’à l’intérieur même de la communauté queer [j’utilise queer ici comme un umbrella term pour l’acronyme, un terme général qui couvre toutes les orientations sexuelles et identités de genre qui ne sont pas cis hétéro], l’invisibilité bi/pan existe. Les personnes bi/pan sont souvent invalidées. Iels sont catégorisées selon leurs relations actuelles. Une femme bisexuelle peut être perçue par certaines lesbiennes comme seulement curieuse, surtout si elle n’a pas eu de relations significatives avec une autre femme. Une “nouvelle” queer sera soupçonnée de chercher une licorne pour son couple hétéro (une troisième personne pour pimenter ses relations sexuelles). Une personne bisexuelle en couple avec une personne de même sexe sera taquinée sur le fait qu’elle ne s’assume pas comme homosexuelle en gardant son identité bi/pan. À l’inverse, elle redevient hétéro dès qu’elle se met avec quelqu’un de l’autre sexe. Tous ces commentaires, je les ai vu passés sur les internets. Et comme je sors avec un homme cis, je ne devrais pas me considérer queer ou bisexuelle selon cette logique. Hell no.
Mais mon sentiment d’imposteure me le dit en tabarnak. Comme je n’ai pas eu plusieurs aventures avec des femmes, est-ce que le commentaire sur la curiosité s’applique à moi ? Est-ce que c’était juste une phase ? Est-ce que j’ai moins le droit de m’affirmer à cause de ça ? Hell no again. Ma relation n’est pas hétérosexuelle, même si nous sommes un couple composé d’une femme et d’un homme cis. Je suis queer, donc ma relation est queer. Je reste bisexuelle, même dans une relation avec un homme. Ma relation est hétéropassing, ce qui veut dire qu’en public, avec mon copain, personne ne se doute que je suis queer. Tenir sa main ne m’attire pas de regards homophobes. Et c’est un privilège. Au contraire, dans la communauté queer, ma relation invite certaines personnes à mettre en doute mon appartenance aux milieux queer comme lors de la Fierté. J’aimerais y aller avec mon copain, mais je ne crois pas que j’y serais reçue comme membre à part entière. Et, ça, c’est l’effet de la biphobie qui découle de l’invisibilité des personnes bi/pan, autant dans la communauté hétéro que dans la communauté queer.
Dans les émissions américaines, le mot “bisexualité” n’est jamais prononcé. Même une émission aussi woke que Schitt’s Creek ne prononce pas le mot (oui même dans la fameuse scène avec les vins !). Sex Education, sur Netflix, en parle enfin. Dans Atypical, Cassie se torture pendant une saison avant de s’affirmer bi… alors que c’était bien clair pour la téléspectatrice que je suis ! Au Québec, connaissez-vous des personnages bi/pan ? Des figures populaires ?
Je me suis personnellement éduquée sur Instagram, avec des personnes militantes américaines et anglaises. Sauf Henri-June Pilote de Montréal, connaissez des militant-e-s bi/pan qui font du contenu en français? Pas moi, et j’ai cherché.
Si j’avais vu plus de personnes bi/pan à la télé et sur les réseaux sociaux, j’aurais peut-être compris avant. J’aurais pu m’épanouir davantage. Je me serais moins posée de questions. Je n’aurais pas banalisé mes feelings. J’aurais été bi and proud depuis bien plus longtemps. Et je pense pas être la seule. Alors, on se souhaite une télé, des médias et un OD de plus en plus queer, ouvert et proche de la réalité de tous et toutes !
Triss Merigold
Historienne, archiviste, militante, fière féministe frustrée et poilue, et sorcière à ses heures, Triss Merigold replonge dans l’écriture avec douceur. Elle rêve de devenir la prochaine autrice de romans historiques québécois à succès. Toujours prête à écouter ses ami.e.s et sa famille avec une tasse de thé à la main et une couverte sur les genoux, elle se qualifie de matante accomplie.
Pour lire le dernier article de Triss Merigold – Le Guide de la Saloppe (dans le bon sens du terme) – c’est ici!