Illustration : Alice (@halissss)
Je descends de l’autobus et me dirige vers l’entrée des élèves de ma nouvelle polyvalente. Mes cheveux volent au vent et je porte une sublime robe bleue qui met en valeur mes beaux seins ronds et hauts. Les gens se retournent sur mon passage pour me suivre du regard. Je n’ai pas de sac à dos pour ne pas gâcher le look de ma robe. Et même que la scène se déroule un peu au ralenti, comme dans les films américains quand les filles populaires arrivent à l’école.
Quoi!? Tant qu’à rêver, autant que ça en vaille la peine.
Cet espèce de fantasme, je l’ai visualisé presque tous les jours de ma sixième année. L’année suivante j’entrerais au secondaire et j’étais persuadée qu’il m’arriverait, au courant de l’été, une métamorphose miracle digne de Anne Hattaway dans Le journal d’une princesse.
Mais bon, c’est sans grande surprise que je vous annonce que la fameuse métamorphose n’eut pas lieu et que ma rentrée fut tout ce qu’il y a de plus banal. Pas de robe bleue ni de cheveux dans le vent. Avec un sac sur les épaules et personne pour remarquer ma présence. Mais surtout – surtout! – pas de « belle » poitrine, ronde, haute et moulée.
Parce qu’à cette époque-là, je commençais à peine à avoir des seins, alors en avoir des remarquables… Pis qu’en plus – ô malheur – au lieu des beaux seins ronds que j’avais tant espérés, j’étais affublée de petits seins pointus. Dum, dum, la malédiction s’était abattue sur moi. J’étais horrifiée! Alors je les camouflais dans des brassières paddées trop grandes qui donnaient l’impression, aux autres et à moi-même, que mes seins étaient en tout point identiques, taille mise à part, à ceux de toutes les personnes détentrices de poitrine et porteuses de soutiens-gorge rembourrés de la planète. Rond et haut. Point. Pas de place pour la diversité ici.
Par le fait même, je me suis mise à confondre le confort psychologique de faire partie du groupe avec le fait de trouver confortables ces cages de cerceaux métalliques et de bretelles jamais bien ajustées. J’en étais même profondément convaincue. J’étais une fervente défenseresse du port de soutiens-gorge à tout prix. Mais c’est tellllement plus confortable! De toute façon, je ne me sens pas bien quand j’en porte pas.
Au fil des ans, tranquillement, à force d’expériences et de réflexions, mon opinion sur le sujet a beaucoup évoluée.
J’ai commencé à avoir des rapports sexuels, et donc à montrer mes seins à d’autres, et de voir le désir briller dans les yeux de mes partenaires à la vue de ma poitrine m’a appris à l’apprécier comme elle est et à accepter le fait qu’elle disparaisse quand je me couche sur le dos.
J’ai visité nombres de plages/parcs/rues/clubs/bars/etc à travers le monde et j’ai réalisé qu’il existe bien plus qu’un seul type de seins. Pis ça m’a aidé à réaliser que mes seins sont beaux. Malgré leur non-symétrie, leur petite taille, leur forme un peu particulière. Malgré, ou même plutôt grâce à leurs petits « défauts », ils sont beaux.
J’ai étudié pendant deux ans au cégep St-Laurent, probablement une des place au Québec où il est le plus facile d’être sué pines sans peur de jugement, et j’ai appris, lentement mais sûrement, à me contrefoutre de ce que pensent les gens de l’apparence de ma poitrine.
Mais la transition de soutiens-gorge-rembourrés-et-armaturés à petites-bralettes-légères ne s’est pas faite sans efforts. Au début, ça me gênait horriblement de sortir de chez moi alors que la forme de mes mamelons pouvaient être perçue au travers de mes vêtements. Même que la première journée que j’ai osé me présenter au cégep sans mon rembourrage habituel, je suis retournée chez moi sur l’heure du midi pour me changer tellement j’étais mal à l’aise. Pendant des semaines après ça, j’ai porté foulard et cardigan ample pour camoufler, du mieux que je pouvais, la forme naturelle de mes seins. J’avais l’impression que les gens ne voyaient que ça en me regardant.
J’ai appris à lâcher prise à mesure que les températures plus chaudes de l’été s’installaient. Trois mois de struggles quotidien pour en arriver à sortir en camisole légère sans soutiens-gorge aux premières canicules.
Pis maintenant, quand j’essaie de remettre mes anciens soutiens-gorge, je suis même pas capable de les tougher 15 minutes. J’ai encore essayé il y a quelques temps, j’avais envie de me chixer pour sortir dans un bar avec des amies en enfilant des sous-vêtements de dentelle, mais ça me tirait de partout, j’avais des bouts de métal qui me rentraient dans les côtes et le sternum pis ma peau est vite devenue irritée aux points de friction. Faque je suis sortie seins nus sous ma blouse, ne me sentant pas moins chixe pour autant, bien au contraire.
Ce que j’essaie de dire ici, c’est pas qu’on devrait toustes brûler nos brassières dans la rue. Non, ce qui me dérange, c’est pas que des gens portent des soutiens-gorge. C’est leur choix, ça ne me regarde pas. Tout comme c’est mon choix de ne pas en porter et que ça ne regarde personne d’autre que moi.
Ce qui me dérange, c’est qu’on me fasse parfois sentir que je devrais peut-être mettre une brassière, question d’être plus présentable. Ce qui me dérange aussi, c’est qu’on pousse insidieusement les ados en pleine puberté à camoufler leurs seins naissants sans leur laisser la chance de se demander ce qu’iels veulent, iels. C’est qu’on n’est tellement pas confronté.e.s à la diversité côtés poitrines que, même encore aujourd’hui, je suis complexée par la forme de mes seins et l’apparence de mes mamelons. Ah, si seulement j’avais hérité du gène des seins ronds et de taille normale et, surtout, de celui des petits mamelons mignons. Mais qui en a des comme ça sérieux? Est-ce qu’ils existent seulement ces seins-là?!?
Ce qui me dérange aussi, c’est que les hommes ont le droit de se promener en chest sans que ça ne choque personne, mais qu’une femme qui dévoile la forme de ses mamelons à travers ses vêtements se fait traiter de tous les noms. Et – oh mon dieu! – quel drame si elle décide d’enlever son chandail! Probablement qu’elle veut juste attirer l’attention ou obtenir des faveurs. Pas qu’elle a chaud ou qu’elle est plus confortable comme ça. Non. Ces raisons d’être seins nus sont réservées aux hommes. Qu’elles les cachent leurs seins les femmes, ils sont la propriété privée de leurs conjoint.e.s.
Ce qui me dérange encore plus, c’est qu’aux yeux de beaucoup, une femme avec des gros seins possède automatiquement plus de girlfriend material. Ben, spoiler alert, une femme, c’est pas un objet de consommation que tu magasines. Une femme, une amie, une blonde, une conjointe, une partenaire sexuelle, ça ne se choisit pas comme tu commandes un quart de poulet chez St-Hubert. Cuisse ou poitrine? Une femme, c’est un être humain, avec des désirs, des opinions, des idéaux, des émotions, des qualités pis des défauts. Hein, moi aussi, c’est fou, on est comme pareils! Ben oui. On est comme pareils. Contente de t’avoir aidé à réaliser ça.
Faque, cuisse ou poitrine? Peu importe au final. Sérieux, est-ce que l’apparence physique est vraiment si importante que ça quand on se sent bien avec une autre personne? J’ai l’impression qu’il est assez facile d’apprendre à voir la beauté extérieur une fois qu’on apprécie une personne pour qui elle est vraiment.
Ok, mais ta salade de choux, tu la préfère crémeuse ou traditionnelle? Laisse-moi donc tranquille avec ton objectification et tes préférences physiques à la con, je t’ai dit que je m’en foutais!
Padmé out.
Étudiante en physio, Padmé écrit pour se vider la tête et faire avancer ses réflexions. Drivée par les questions de genre, elle refuse de se faire enfermer dans une image stéréotypée de la femme. La preuve, il n’est pas rare de la trouver les deux mains dans la graisse de vélo en train de chanter du Céline Dion à tue-tête.
Pour lire le dernier article de Padmé – Sur la confiance en soi – c’est ici!