Illustration : @viraesworks
On a tous et toutes entendu parler du mouvement #metoo pour les anglophones, #moiaussi au Québec, #balancetonporc en France, #Quellavoltache pour nos ami.e.s italien.ne.s (« cette fois où ») #yotambien chez les hispanophones, #jagockså en Suède etc…
On a tous et toutes été choqué.e.s qu’autant d’agressions aient lieu tous les jours, dans le monde, et qu’elles aient été taboues pendant tant d’années.
On a encore plus été choqué.e.s de voir que ces agressions ont lieu aussi tout autour de nous, dans nos familles, dans nos cercles d’ami.e.s.
Alors quel choc de se rendre compte du nombre d’agressions dont on a nous mêmes été victimes. Ces agressions qu’on n’appelle pas des agressions. Le nombre de viols qu’on n’appelle pas des viols. Et toutes ces fois où on a trouvé des excuses à l’autre, plaidant coupable pour son comportement.
J’étais saoule; j’ai pas dû être assez claire; j’aurais pas dû rester seule avec; je savais qu’il était pas net; il s’est pas rendu compte; on est en couple; c’est normal…
Pour moi, le plus fou dans tout ça, c’est de ne pas se rendre compte que notre corps nous appartient, que nos décisions nous appartiennent. Et je m’inclus totalement là-dedans!! Pourquoi, même après avoir eu cette prise de conscience, est-ce que je me sens encore redevable dès que mon copain « accepte » de ne pas faire l’amour? Pourquoi est-ce que j’ai encore du mal à dire non? Pourquoi est-ce que j’ai encore du mal à me voir comme la victime dans les agressions que j’ai subies dans le passé?
Alors je me suis posé la question : d’où est ce que ça peut bien venir? En en parlant autour de moi, je me suis rendue compte que je n’étais pas la seule à avoir ce raisonnement « anti-consentement » bien ancré, et que ça avait un nom : la culture du viol. Et d’où vient-elle? De notre éducation bien sûr! Et là, plein de souvenirs ont pop up dans ma tête, des souvenirs de moments de ma vie où on m’a appris que mon avis n’avait pas d’importance lorsqu’il s’agissait de mon corps.
THROWBACK #1 : Fais bisou à papi
Lorsque j’étais petite, chaque année, comme beaucoup d’entre vous j’imagine, je fêtais Noël avec ma famille. Mon grand-père, pour qui j’ai toujours eu énormément de respect, mais avec qui je n’ai jamais eu beaucoup de proximité, nous offrait toujours à moi et ses cinq autres petites filles, une enveloppe qui contenait un chèque. Chacune, une par une, nous devions aller sur ses genoux, lui faire un bisou et prendre une photo avec lui, en même temps que nous récupérions notre chèque. Si on regarde la situation avec des yeux d’adulte, c’est vrai que ça paraît normal. On apprend à l’enfant à remercier, à apporter de l’affection à sa famille, à ses aîné.e.s, à prendre soin d’elleux etc… Avec des yeux et un cerveau d’enfant, en revanche, on apprend que l’affection est une obligation envers nos proches. Et si on va plus loin, on apprend aussi que ça peut devenir une monnaie d’échange. Ce qui était « un chèque contre un bisou » peut devenir « un bijou contre du sexe » plus tard. Bah oui, faut bien que je remercie mon mari, il m’a offert un collier! Et si j’ai pas envie de coucher avec lui? C’est pas important! Je lui suis « redevable ». Je vais peut-être un peu loin, mais je pense que ce genre de moments joue vraiment dans nos façons de voir les relations humaines plus tard. Connaissant ma grande chance d’être réunie avec ma famille, d’avoir un grand père qui m’aime et qui me gâte, je me sens pas mal coupable de me « plaindre » de ça aujourd’hui, surtout que toute ma famille avait de bonnes intentions. En plus, j’ai peur de salir la mémoire de mon grand père. Mais, here I am, vous racontant cette histoire malgré tout ça, parce que selon moi c’est ce genre de moments innocents qui marquent le commencement d’un apprentissage malsain. L’affection, c’est tellement quelque chose de naturel, d’humain, de personnel. En la forçant, on lui enlève toute sa signification. Surtout quand on nous apprend que ce n’est pas quelque chose que l’on choisit, mais quelque chose que l’on doit.
THROWBACK #2 : Les mononcles farceurs
Ce souvenir concerne aussi un acte qui se déroulait pendant les rassemblements familiaux : Noël, les anniversaires, etc… Mais cette fois-ci, j’en suis témoin. Comme à l’accoutumée, en fin de soirée, mon cher papa et mes mononcles ont un petit coup dans le nez. Ils cherchent à s’amuser, et trouvent la bonne idée de prendre le produit nettoyant à bois, d’en badigeonner la grande table en bois du salon et de faire glisser ma sœur Sofia (de force, sinon c’est pas drôle!) dessus. Ils étaient donc d’un bout à l’autre de la table et se « lançaient » Sofia, qui à l’époque devait avoir pas loin de 5-6 ans. Honnêtement, ça aurait pu être drôle si Sofia avait trouvé ça drôle, si elle avait voulu participer… Mais ça a juste été traumatisant. Beaucoup pour elle, et sûrement un peu pour moi aussi si je m’en rappelle encore aujourd’hui. On a là encore une fois un bel exemple de non respect du consentement. Ma sœur a appris lors de ces occasions-là que son corps ne lui appartenait pas.
THROWBACK #3 : Maman, il est bizarre le monsieur…
Depuis que je suis enfant, mes parents voient de temps en temps leurs ami.e.s Louise et Bernard. Ma mère connaît Louise depuis le secondaire. Elle connaît Bernard depuis qu’il s’est marié avec Louise, une vingtaine d’années plus tôt. Ce sont donc des ami.e.s de longue date, en lesquels elle a confiance. Sofia et moi aimions beaucoup les voir lorsqu’on était encore petites. Bernard jouait beaucoup avec nous, il nous faisait des tours de magie. Ma sœur le voyait même comme un second père. En grandissant, j’étais de plus en plus mal à l’aise en la présence de Bernard. Il parlait beaucoup de sexe lorsque nous étions là, il nous disait qu’il nous aimait, voulait toujours qu’on vienne sur ses genoux, nous faisaient beaucoup de bisous. Une fois, lui et sa femme nous avaient invitées, Sofia et moi, à passer quelques jours chez elleux. Je m’en souviens encore très bien, j’étais mal à l’aise tout le temps et j’avais peur de lui.
À un moment, il m’a dit qu’il voulait me faire un bisou, je lui ai dit non. Il a pris ça pour un jeu, et a commencé à me courir après. Je sais pas si vous pouvez vous imaginer, lui jouait avec une enfant, alors que moi, je courais pour ma vie. J’avais vraiment peur, j’ai sauté sur le lit où ma soeur était pour me protéger derrière elle. Je pense que ça s’est fini là parce que je n’ai pas de souvenir de la suite. Un jour, j’ai fini par avouer à ma mère qu’il me faisait peur. Elle m’a répondu qu’il ne me voulait rien de mal, que c’était juste quelqu’un de tactile, de « mielleux » et qu’il aimait beaucoup les enfants. Elle a cependant accepté que j’aille dormir chez des amies les soirs où lui et sa femme venaient dîner. Lorsque ce n’était pas possible, j’invitais une amie pour avoir l’excuse de sortir plus tôt de table pour aller jouer. Je suis toujours restée vigilante en grandissant, mais j’ai accepté l’idée qu’il n’avait sûrement aucune mauvaise intention.
J’ai donc par la suite entretenu une bonne relation avec ce couple, j’ai même habité chez elleux pendant un mois lors d’un stage. Lui avait l’air de s’être calmé, bien qu’étant toujours très tactile, aux propos parfois surprenants. Il m’a quand même dit un jour que j’avais grossi des seins après que sa femme soit sortie de la pièce, une autre fois il m’a serré le thorax avec ses doigts, les mains sur mes seins pour m’enlever le hoquet (je lui laisse le bénéfice du doute parce que le hoquet a en effet disparu, même si, si j’avais eu le choix, je l’aurais bien gardé!). Une fois, il a même fait croire à un ami à lui que j’étais son amante juste pour rigoler. Aujourd’hui, il est encore ami avec mes parents. Je continue de le voir à l’occasion. Ma sœur continue de l’adorer. Cette histoire est restée tellement taboue, ma mère ne lui a jamais parlé de ma gêne, de mes peurs. Elle ne l’a jamais remis à sa place. En y repensant, j’aurais vraiment aimé qu’elle le confronte. Qu’elle me prouve que son comportement n’était pas normal. J’aurais aimé savoir que si je ne suis pas à l’aise avec le comportement de quelqu’un c’est ok, et qu’on ne peut pas laisser passer ça comme ça. Que c’est pas à moi d’aller dormir chez des amies, c’est à lui d’arrêter de me mettre mal à l’aise.
THROWBACK #4 : Tu lui as demandé si elle en avait envie?
J’ai toujours été la petite préférée de mon père, malgré moi. Je dis malgré moi parce que ça m’a apporté quand même pas mal d’emmerdes dans ma vie. Le sentiment de culpabilité d’être plus « aimée » que ma soeur. Voir mon père s’acharner sur elle, la frapper, et m’épargner moi. Me faire discriminer par les proches de la famille parce que j’étais « la fille à papa » et qu’il me passait tous mes caprices. Ça m’a appris encore une fois que l’affection était un devoir envers mes proches, indépendante de ma volonté. Je m’explique. Mon père m’a toujours apporté beaucoup d’affection : des bisous sur le front, sur la joue, sur le cou, des câlins etc… Et ce, pas juste pour se dire bonjour ou au revoir. Non non! À tout moment de la journée. Et surtout à tout âge! Quand j’étais petite, d’accord, ça me dérangeait pas, c’était mon père, et j’avais besoin d’affection, comme tout enfant. Par contre en arrivant à l’adolescence, ça a vraiment commencé à me mettre mal à l’aise. Cela vient surement en partie de la pudeur qui augmente à ce moment là de la vie, quand on croque dans la pomme d’adam, qu’on commence à parler de sexe, de désir, etc… Mais je pense que ce qui a aussi beaucoup joué dans ma gêne, c’est le regard de mon père sur les autres femmes, c’est son ton dragueur avec les caissières au supermarché, c’est ses remarques sur les rondeurs des passantes. Bref, ce mélange de pudeur d’adolescente et de prise de conscience du comportement de mon père m’ont fait me sentir mal dans l’enceinte de ma propre maison. J’avais peur qu’il me regarde par la fenêtre de la salle de bain quand je me douchais, je ne voulais pas qu’il me voit en maillot de bain, et dès qu’il me faisait des bisous j’avais le cœur qui se serrait. Un jour, alors que je parlais avec ma mère, il est arrivé derrière moi et m’a fait un bisou dans le cou. Je devais avoir autour de 13 ans. Ma mère, en voyant mon visage se figer, a tout de suite demandé à mon père est ce que tu lui as demandé si elle en avait envie? Bon point maman! Il a ouvert les yeux en grand, bouche bée. Il ne s’y attendait pas, il ne s’était vraisemblablement jamais posé la question. Quelques heures plus tard, alors que je regardais la télé, il est venu me voir et m’a dit c’est vrai ce que dit ta mère? T’aimes pas ça quand je te fais des bisous? Tu peux pas me faire ça!! T’es la seule personne que j’ai ici! T’es ma bouée de sauvetage! Sans toi j’ai rien! Vous sentez la culpabilisation? Moi je l’ai bien sentie en tout cas!!!! Depuis ce moment, je suis très froide physiquement avec mon père, et il n’ose plus m’approcher non plus.
Voilà. C’est comme ça qu’on m’a forgée à croire que le consentement n’existait pas. Que lorsqu’un homme le souhaite, il peut avoir mon affection. Sinon, il souffrira et ce sera de ma faute. Ceux qui m’ont enseigné ça, ce sont en grande partie les agresseurs eux-mêmes. Mais ce sont malheureusement aussi tous mes proches qui n’ont pas su lever les red flags au bon moment, et m’ont gentiment fait baisser les bras lorsque j’essayais de les lever par moi-même.
Aujourd’hui, j’essaie tant bien que mal de désapprendre tout ça. Mais voilà, j’ai toute une éducation derrière moi, alors c’est pas facile tous les jours. C’est quand même bien ancré! Et si jamais je fonde une famille, je me fais la promesse de toujours remettre en question les rites familiaux, de faire attention aux personnes à qui je présente mes enfants, et surtout, de toujours être à l’écoute de leurs envies.
Fleur du désert