Illustration : Garance (@garancebb)
Ça devait faire plus ou moins deux ans que j’étais avec mon chum. On habitait pas ensemble. Pas parce qu’il voulait pas (je pense que je compte même pu sur mes doigts le nombre de fois où il m’a demandé d’emménager avec lui), mais parce que pour moi, habiter avec son chum sans avoir de « vraie » job, sans avoir fini ses études, c’était l’équivalent de se garrocher dans une piscine verte en maillot de bain en plein mois d’avril. C’est ben trop fucking tôt! Sans compter que ça signifiait pour moi avoir une « vraie » vie d’adulte, pis l’idée me faisait autant badtripper qu’un éventuel troisième lien à Québec (pis ça, sur une échelle de un à beaucoup, c’est genre crissement beaucoup).
Anyways, même si on vivait pas ensemble, on était très souvent l’un.e chez l’autre. On cuisinait ensemble, on allait faire l’épicerie ensemble, on faisait le ménage ensemble, etc. Pis, sans vraiment m’en rendre compte, c’était moi qui était responsable de la charge mentale qui venait avec ces corvées-là. Penser à ce qu’on allait manger, penser à aller faire l’épicerie, prendre l’initiative pour faire une liste d’épicerie, penser aux différentes tâches ménagères qui devaient être faites, etc. Bref, tout le côté organisationnel derrière ces activités. Pis je vous dirais que je le faisais pas mal autant chez moi que chez lui, ce travail là (bien sûr de manière moins intense chez lui, c’était quand même son appart après tout, but still).
Mais, ça ne me dérangeait pas vraiment d’y penser. Genre, ça me pesait pas consciemment d’avoir à faire ce constant travail d’organisation dans ma tête. Peut-être que c’était parce que j’étais tellement habituée de le faire pour moi-même (ça faisait quand même six ans que j’avais quitté le nid familial et que je me gérais comme une grande, versus à peine un an pour lui) que je ne me rendais pas vraiment compte que la charge mentale n’était pas partagée de manière égale. Et évidemment, y’a aussi le fait qu’on éduque tellement les jeunes filles à pouvoir être en charge d’une maison, être capable de faire l’épicerie, de faire les repas, de savoir faire les tâches ménagères, qu’on finit par intérioriser ça.
Bref, tout ça pour dire que j’avais jamais vraiment pleinement expérimenté la lourdeur et les impacts concrets que peut avoir la charge mentale sur un.e individu. Jusqu’à ce que je parte, l’année dernière, en échange étudiant au Pérou, pendant quatre mois, et que mon chum vienne me rejoindre, par la suite, pour un voyage de cinq mois en sac à dos en Amérique du Sud.
Ehhh boboyyy!!!!
Là, oui, j’ai compris comment la charge mentale pouvait amener une personne à être très malheureuse.
Bon. Petite mise en contexte, surtout pour les personnes qui n’auraient pas eu la chance (ou le désir) de parcourir le monde avec pour seule arme un sac à dos.
Voyager en sac à dos, pour moi, ça veut dire qu’il y a un degré assez élevé d’incertitude, de liberté. Ça veut dire qu’à tous les jours, je dois me questionner sur un paquet de trucs. Devoir penser à où je vais dormir demain (ou dans les prochains jours), à comment je vais me déplacer pour m’y rendre, à comment je vais manger durant mon déplacement, à si j’ai suffisamment d’eau ou pas, et à ce que je vais faire une fois rendu là-bas.
Mettons que si vous étiez une personne qui pouvait avoir accès à ma tête durant mes voyages, vous auriez droit à un fil de pensée très intense qui ressemblerait à quelque chose comme ça :
Aujourd’hui je suis à Arica, demain je veux aller à Iquique. Est-ce que j’ai eu des réponses de couchsurfeurs là-bas qui pouvaient m’héberger? Mmmh, pas encore. Est-ce que j’y vais en faisant du pouce ou en bus? Ok, en faisant du pouce. Ok, de où je devrais partir pour y aller? Est-ce qu’il y a un endroit avec une entrée d’autoroute où il y a de l’espace pour que les gens s’arrêtent? Bon, avec une pancarte, ou sans pancarte? C’est quoi la culture du pouce au Chili? Ça marche, ou ça marche pas trop? Va voir sur Internet. Ok, c’est bon, ça devrait le faire, je devrais être capable d’arriver avant genre 17h. Bon, il me reste du pain d’hier, si je m’achète quelques fruits, je devrais être correcte pour le trajet. Ok. Va falloir que je passe acheter de l’eau parce que hey, bienvenue dans le désert le plus aride du monde. Bon, personne n’a répondu à Iquique, est-ce que je regarde pour une auberge de jeunesse sur Internet maintenant, ou j’attends de voir là-bas, au cas où quelqu’un me répondrait. Bon ok, j’attends jusque là-bas. Bon, qu’est-ce qu’il y a à faire là-bas? Bon, fuck it, on verra rendu là hein?
Pis si répondre à toutes ces questions-là pour moi-même, pis vivre avec ce genre de spinoff dans ma tête en quasi-permanence ça me dérange pas en soi, pis que je trouve pas ça lourd du tout, c’est toute une autre histoire quand tu dois le faire aussi pour une autre personne. Parce que la personne a des désirs, des émotions et des envies qui ne sont pas nécessairement en parfaite synchronicité avec tes désirs, émotions et envies. Thanks Captain Obvious me direz-vous.
Mais c’est un fait quand même non négligeable. Genre, moi je veux faire du pouce et me lever tôt, lui il veut se lever tard et prendre le bus. Moi je veux aller acheter de la bouffe à l’épicerie pour cuisiner (et ainsi éviter des coûts), lui il a la flemme et préfère aller au resto. Bref, vous comprenez le principe. Quand on voyage à deux c’est for sure plus long de prendre des décisions. Le spinoff que j’avais en solo, il faut maintenant que je l’aies avec une autre personne qui risque d’être en désaccord avec moi.
Dans mon cas, on partait déjà sur un déséquilibre assez important. J’avais déjà un voyage de neuf mois toute seule en sac à dos à travers l’Europe derrière la cravate, versus aucun voyage seul pour lui. Je parlais la langue du continent (aka l’espagnol) pis lui il pensait qu’il allait pouvoir se débrouiller en anglais seulement (nope). Pis si c’est normal qu’au début il ait été plus désorienté, tout le monde a évidemment besoin d’un temps pour apprendre, il n’a jamais au cours de nos cinq mois de voyage atteint le stade d’autonomie et de prise d’initiative.
Pratiquement jamais il n’a, de sa propre initiative (donc pas suite à une demande de ma part), fait des recherches préalables à notre arrivée sur un lieu. Je pense à des trucs tout simples comme chercher un endroit où dormir, penser à des activités à faire, trouver comment se rendre de notre point de départ à notre point d’arrivée, planifier qu’il nous faudrait faire l’épicerie prochainement, etc. Ça créait énormément de frustration de ma part, parce que je prenais le fardeau de la responsabilité de l’organisation, sans pour autant pouvoir faire à 100% ce que moi je souhaitais. Si je ne trouvais pas, si quelque chose ne marchait pas, si les activités que j’avais pensé faire ne lui plaisait pas, c’était forcément mon organisation qui avait foiré.
Des fois, quand le poids de la charge mentale était trop lourd, je pétais une solide coche. C’était comme trop de stress à gérer. Je criais, je pleurais, je l’implorais d’en faire plus. Ce à quoi il me répondait de lui dire ce que je voulais qu’il fasse. Mais, c’était justement là le noyau du problème. Devoir penser de dire à l’autre ce qu’iel devrait justement faire, c’est exactement ça la charge mentale. Le poids de l’organisation, la gestion du day to day qui finit par peser plus lourd sur une personne (moi en l’occurrence) que sur une autre. Et même s’il me reprochait de ne pas assez l’inclure dans le processus décisionnel (ce en quoi il n’avait pas tord), il n’entreprenait pas vraiment de démarches sérieuses de planification par lui-même non plus. Aujourd’hui, je me demande s’il aurait tout simplement pu faire le voyage seul, tellement je m’occupais de toute la gestion.
Évidemment, il y avait, à ce moment, plusieurs autres sources de tension au sein de notre couple qui ont contribué à rendre notre situation encore plus désagréable. Et je ne suis pas non plus parfaite, je sais que j’ai mes torts dans cette histoire-là. Mais, avec un peu de recul, je réalise qu’il se fiait probablement à mon expérience et savait que, même s’il ne planifiait pas pour le futur, moi, j’allais le faire. Un peu comme je me fiais à ma mère pour me rappeler de prendre mes rendez-vous chez l’esthéticienne, il y a de cela de nombreuses années. À quoi bon y penser en permanence, quand quelqu’un.e d’autre le fait pour toi?
Reste que la charge mentale que j’ai vécue durant ce voyage, elle était bien réelle, elle m’a poussée à boutte, pis elle a finit, plusieurs mois plus tard, par faire exploser notre couple. Et disons que cette expérience m’a fait comprendre pourquoi ma mère tient tant que ça à sa semaine dans le Sud, dans un tout-inclus, où elle n’a pas à penser à une crisse d’affaire (une fois rendu là, parce que, c’est certainement pas mon père qui ferait les démarches pour organiser des vacances, hein?).
Bref, si vous comptez partir en voyage avec qui que ce soit, pensez-y à deux fois. Ayez des discussions préalables. Remarquez si les deux personnes s’investissent autant dans les recherches ou si l’une se laisse porter par l’autre. Pour ma part, je reste un peu ébranlée par mon expérience, pis je planifie pas partir accompagnée avant un méchant boutte!
Peace out,
Médusa
Médusa, étudiante en communication, dont les propos peuvent parfois être venimeux, n’a pas la langue dans sa poche. Provocante et animée par la sexualité, elle débat pour déconstruire l’image de la pute, de la vierge et de la mère.
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