Illustration : Garance (@garancebb)
Je suis généralement très bonne – parmi les meilleur.e.s – dans presque tout ce que j’entreprends. Dans mes études, dans mes jobs, dans mes loisirs. Je me démarque tout le temps. Et c’est pas nécessairement juste une question de talent. Oui, j’apprends et je comprends très vite, mais c’est surtout que je vise constamment l’excellence. Que je me mets beaucoup de pression pour être 100% du temps à mon meilleur. Que j’ai, et que j’ai toujours eu, des attentes très élevées envers moi-même. Ça, pis le fait que j’ai beaucoup de mal à accepter l’échec. Facque j’travaille fort pour réussir, pis si je vois que c’est pas suffisant, ben j’vais faire autre chose. J’vois pas pourquoi je continuerais à faire quelque chose si je suis pas bonne pour le faire. Comme dit souvent mon père, à la blague (ou pas, j’avoue que sur celle-là j’ai encore un doute) : je joue pour avoir du fun, mais j’ai juste du fun quand j’gagne.
Pis comme j’ai toujours été comme ça – perfectionniste, compétitive, mauvaise perdante, passionnée… – ben j’me rends compte maintenant que j’ai jamais vraiment appris à faire des erreurs, et à les surpasser. Pis honnêtement, j’ai comme vraiment pas l’impression d’être la seule dans cette situation-là.
J’ai eu une discussion assez marquante sur le sujet avec une amie cet automne. Elle me racontait sa frustration d’enfant lorsque son frère se faisait encourager à retourner vers les sports plus « physiques », malgré les vêtements sales et déchirés et les bleus, alors qu’elle se voyait redirigée par les adultes vers des activités moins « dangereuses ». Elle me racontait sa satisfaction à enfin pouvoir faire les sports « dangereux » qu’elle avait toujours voulu explorer, maintenant qu’elle était adulte, et son épanouissement dans cette nouvelle facette de sa vie. Elle me racontait également l’inquiétude que manifestent systématiquement les gens en apprenant qu’elle ouvre parfois elle-même des voies d’escalade sur paroi naturelle.
N’ayant pas de frère, et n’ayant pas trop eu une éducation genrée stéréotypée, j’ai pas d’exemple personnel aussi flagrant de double standard dans l’apprentissage / l’enseignement de l’échec. Cette distinction-là, je l’ai plus vécue à l’école, dans les cours d’éduc et dans la cours de récré, quand venait le temps de jouer au ballon. Les maudites séances de ballon-chasseur, crime que je détestais ça. J’avais pas des super bon réflexes facque j’étais une cible facile et évidente à tenter d’éliminer rapidement. Pis comme je visais pas particulièrement bien, j’étais clairement pas prioritaire à venir sauver et remettre en jeu. Je me sentais plus comme un boulet que comme un atout pour mon équipe. Pis le pire c’était les rares fois où j’arrivais à attraper un ballon, y’avait alors systématiquement l’intense pression de le refiler à un gars – un des bons – parce que moi c’était apparemment sûr aux yeux de toustes les autres, et ça l’est tranquillement devenu aux miens aussi, que j’allais rater mon lancer si j’essayais de marquer des points pour mon équipe.
Pis en parallèle de ça, je faisais de la gymnastique deux fois par semaine comme activité parascolaire. Je sais pas si c’est un sport que vous avez déjà fait, mais mettons que c’est un milieu où la pression est TRÈS forte pour exceller, pour être parfaite. En compétition, avoir le réflexe de replacer ton maillot qui était ben pogné dans ta craque de fesses ou avoir les jambes pas tout à fait droites pendant un bref instant peuvent faire la différence entre une place sur le podium ou en bas de la liste des participantes.
Bref, je sais pas si d’autres que moi se reconnaîtront dans ce que je raconte ici, et je veux pas uniquement avoir l’air de critiquer mes milieux d’apprentissages, parce que je sais que y’a aussi ma personnalité à prendre en compte là-dedans. Tsé, la gymnastique m’aura entre autres appris la persévérance, le dépassement de soi et le travail acharné. Mais, j’ai l’impression qu’au travers de mes expériences, j’ai pas mal juste appris à gérer l’échec par l’évitement, pis que je me suis forgé l’impression tenace de devoir être parfaite pour mériter ma place dans un groupe.
Concrètement, ça fait que quand j’arrive pas à bien faire quelque chose, ou à progresser rapidement, c’est pas long que je vais voir ailleurs. Pis pire que ça, j’me mets tellement de pression que quand j’ai l’impression que je serai pas capable de réussir de quoi du premier coup, souvent j’essaie même pas, de peur d’avoir l’air ridicule si j’échoue. Facque ça donne des trucs comme, l’autre fois, quand j’étais avec des collègues et qu’un d’elleux a décidé de nous montrer comment siffler avec un brin d’herbe : j’ai eu trop peur de me ridiculiser, et que tout le monde réalise que j’étais une imposteure au sein du groupe, moi l’introvertie-solitaire au milieu des extraverties qui ont toujours quelque chose de drôle à raconter, facque j’ai juste observé en silence, même si je mourrais d’envie d’y arriver moi-aussi, d’être capable de siffler super fort avec du gazon. Ou encore, malgré que ça fait plusieurs années que j’ai une vie sexuelle active, j’ai toujours pas le guts de faire des fellations. Pas que j’en suis foncièrement incapable, juste que j’ai peur de faire n’importe quoi, de pas être bonne. Alors je fige et je remets l’apprentissage à plus tard. Pis plus le temps passe, plus on pourrait s’attendre à ce que j’aie de l’expérience, plus la pression (personnelle, hein, j’ai jamais eu de partenaire qui me mettait la pression pour que ça se passe, heureusement) devient grande, et plus ça me stresse d’essayer. C’est un mautadine de cercle vicieux!
Et donc, depuis toujours, je me mets de la pression, je vise l’excellence, pis j’ai des attentes très élevées envers moi-même. Souvent ça porte fruit, ça me permet de m’améliorer, de me démarquer. Mais ça me pèse aussi très lourd. J’aimerais ça être capable de faire des erreurs sans avoir l’impression de perdre de la valeur. J’aimerais ça être capable d’échouer sans avoir peur de tout perdre.
Pis l’autre fois, y’a une de mes amies qui m’a dit la phrase suivante :
Je me sens comme une traîtresse au sein des féministes parce que j’aime être dans des relations de dépendance ou de proie/prédateur avec les hommes. Je sais que t’es ben bonne pour accepter les gens dans leurs contradictions, mais là c’est vraiment intense, es-tu capable de ne pas me juger?!
Sur le moment, j’ai tellement pas su quoi lui répondre / comment réagir. Mais après y avoir réfléchi un peu, j’en suis venue à me dire que crime, la pression de la société et du patriarcat est déjà assez forte de même, messemble que ça serait la base qu’on s’accepte dans nos imperfections entre femmes. Parce que plus j’avance dans mes réflexions féministes, moins je me sens légitime de critiquer les choix, les modes de vie et les réactions des autres femmes; parce que quand je me mets à analyser mes comportements d’un point de vue féministe, ben je suis pas toujours super fière de moi. Sans même aborder tous les différents comportements et gestes dégradants que j’ai pu poser par le passé, notamment à l’adolescence et à l’époque où j’ai commencé à sortir dans les bars, ben mettons que mes relations sentimentales des dernières années regorgent d’exemples de conflit entre mes valeurs féministes et mes besoins / envies / émotions du moment.
Par exemple, vous vous rappelez peut-être, la fois y’a genre 2 ans, où suite à une date horrible, je me questionnais sur la possibilité de dater en étant féministe. Y’a aussi ma colocation de l’année dernière comme exemple, celle dans laquelle je me suis retrouvée à mettre de côté tous mes idéaux de partage égalitaire des tâches. Ou encore (j’ai pas encore écrit de texte là-dessus mais ça va peut-être venir dans un proche futur), l’été dernier, quand je suis allée en France voir mon copain de l’époque, qui m’a laissée au tout début de mon séjour; je suis quand même restée chez lui pour les 2 semaines suivantes, parce que j’étais incapable de me couper de mon besoin de le voir, même si ça me faisait horriblement souffrir. C’est trois exemples de situations où je me suis rendue compte, pendant que je les vivais, que je mettais de côtés mes valeurs et idéaux féministes pour palier à un besoin émotionnel. Pis même si j’aimerais avoir été capable de faire mieux, je me remets dans la peau de la Padmé que j’étais à l’époque, avec tout ce que je vivais à ces moments-là, pis je sais que j’ai fait du mieux que je pouvais. Je pense que c’est probablement ça la clé : faire du mieux qu’on peut, mais accepter de lâcher prise quand ça devient trop.
Donc j’essaie d’apprendre à m’accepter et à m’aimer, même quand j’ai des réflexions / réactions / comportements qui me dérangent. Parce que je suis humaine et que je suis donc par définition hautement imparfaite. Pis en ce moment, je me dis que d’être féministe, dans ce contexte de pression sociale de la réussite et de non apprentissage de l’échec, c’est aussi d’accepter et de prôner que les femmes n’ont pas à être parfaites. Ni au travail, ni à la maison, ni dans leurs relations, ni dans leur féminisme. Alors pour 2020, je revendique le droit à l’erreur. Parce que, même si c’est pas un idéal vers lequel tendre, le jour où des femmes de pouvoir pourront se permettre d’être aussi incompétentes que les hommes dans les mêmes postes, sans risquer leur carrière et leur crédibilité au moindre faux pas, on va savoir qu’on aura franchi une crisse de grosse étape sur le chemin vers l’égalité hommes-femmes.
Imparfaite,
Padmé
Étudiante en physio, Padmé écrit pour se vider la tête et faire avancer ses réflexions. Drivée par les questions de genre, elle refuse de se faire enfermer dans une image stéréotypée de la femme. La preuve, il n’est pas rare de la trouver les deux mains dans la graisse de vélo en train de chanter du Céline Dion à tue-tête.
Pour lire le dernier article de Padmé – Les 9 jours de ma grossesse – c’est ici!
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