Illustratrice : Alice (@halissss)
Un jour, j’ai commencé à me masturber. Je ne me rappelle pas très bien comment, ni exactement quel âge j’avais. 13, 14, 15 ans? Je ne sais plus, mais c’était à un de ces âges où s’affirmer est difficile, où l’on est tellement influençables que l’opinion des autres compte beaucoup trop, et où on cherche à plaire et à entrer dans un moule qui souvent n’est pas fait pour nous. Bref, l’adolescence.
L’excitation me prenait, comme-ci comme-ca, normalement, et j’avais envie de découvrir mon corps. Je n’en avais à la base, ni crainte, ni dégoût, ni appréhension. Je me rappelle que je lisais des histoires érotiques sur internet, pour m’exciter. Mais les commentaires que j’entendais à l’école ont vite fait d’obscurcir cette relation auparavant saine que j’avais avec ma sexualité naissante. J’ai commencé à effacer méticuleusement l’historique de mon navigateur et à me taire dès qu’il était question de la chose à l’école. Je n’en ai parlé à absolument personne au cours de mon secondaire. Parce que lors de conversations, quand il s’agissait d’un garçon par exemple, c’était drôle, correct, accepté, normal, voire encouragé (tant mieux pour eux!). Mais au niveau féminin, quand le sujet était abordé, c’était pour potiner sur le fait qu’il semblerait qu’une telle se masturbait, et ça finissait souvent mal, du genre « ça m’étonne pas, elle est un peu salope » ou ben « ark moi ça m’écœure ». Ce genre de commentaire venait autant de mes amis-gars que de mes amies-filles, et je n’ai donc jamais eu confiance d’en parler, même rendue au cégep.
Pas même à ma meilleure amie? À ma mère? À ma sœur? Non, vraiment personne. Alors, à force de subir quelques jugements par ricochet de temps en temps, de me sentir marginale et de développer cette habitude dans le secret et l’insécurité, j’ai fini par en avoir honte. Et par me sentir coupable d’avoir l’envie, sinon le besoin, de succomber à ce « vice terrible et impur ». Lorsque l’excitation montait, l’envie prenait le dessus et me donnait le courage de me faire du bien. Mais dès que je terminais, à la seconde même où l’apogée de la jouissance me quittait, je me sentais dégoutante et terriblement, terriblement coupable.
Les années ont passé et ce secret est resté avec moi jusqu’à mes 18 ans, moment où j’ai parlé pour la première fois de sexe avec une amie, puis une autre, et une autre. Je me suis peu à peu sentie libérée d’un fardeau qui me pesait depuis longtemps. Et tu te dis probablement : merveilleux, tant mieux, quelle histoire qui finit bien! J’aimerais bien ça, mais non ça ne finit pas là. Six ans plus tard, comblée par un bagage d’expériences très belles avec d’autres personnes qui me laissent (presque) toutes des souvenirs chers et une vie sexuelle active et (presque) épanouie, je ressens encore profondément et continuellement les répercussions de mon secret, et la culpabilité qui l’accompagne.
Ce que je ressens comme une forme de culpabilité sexuelle me suit depuis l’adolescence et ne me laisse pas de pauses. Ou si peu. Elle se manifeste aujourd’hui autant lorsque je m’offre moi-même du plaisir que dans mes relations avec des hommes. Malgré le fait que je sois sexuellement informée. Malgré le fait que je n’aie plus peur de parler de cette culpabilité avec des amies, ni d’écrire ces lignes. Parce que quand la culpabilité apparaît, à la manière du fantôme de mes premiers désirs, je ne trouve aucun moyen ni pour la confronter ni pour la chasser. J’en suis venue à la laisser s’emparer de moi. Même en plein milieu d’une relation torride, je lève subitement le drapeau blanc. Je me déconnecte du désir qui m’habitait, et je me sens soudainement neutre et insensible aux touchers de l’autre et même parfois à ses baisers ou ses regards. Jamais je n’ai réussi à faire part à un partenaire de cette sensation, parce qu’au moment où je la ressens et la vis, je me sens vulnérable et j’en ai honte. Honte de ne pas arriver à lâcher prise. Honte de ne pas être à la hauteur de ce que je sens qu’on attend de moi sexuellement. Et honte d’abandonner par le fait même mes idéaux et mes convictions, ma volonté d’équité entre les genres, sexuellement comme partout ailleurs.
Le pire, c’est que le mal, c’est moi qui me le fais. Ou non, pas moi, mais bien tout ce qui a fait naître ces mécanismes auto-méprisants de honte et de culpabilité en moi. Parce que, dernièrement, j’ai réalisé qu’ils devaient bien être nés quelque part. Ce ne sont pas les hommes de ma vie qui m’ont fait sentir comme ça. Le sentiment est né bien avant ma première relation sexuelle, et j’ai eu la chance (aussi triste qu’il soit que ça doive en être une) d’avoir des partenaires qui ne m’ont jamais mis de pression et qui ont eu la sensibilité et la décence de s’intéresser activement à mon propre plaisir. Je n’ai pas peur du sexe. Je n’ai pas de difficulté à être mouillée, à entreprendre, à vivre le moment… jusqu’à ce que le fantôme de ma culpabilité sexuelle surgisse.
Ce que je crains le plus, c’est l’orgasme. Car je sais qu’après, je vais instantanément me sentir coupable. Et je suis à 100% d’accord avec le fait que l’orgasme en soi n’est pas l’objectif ultime du sexe et qu’il y a 1001 autres façons d’apprécier sa sexualité. Je pourrais aussi en faire un article tellement j’ai de choses à dire sur le sujet. Mais, dans ce cas, le fait de sentir l’orgasme venir et de m’empêcher de l’atteindre, par réflexe, pour me protéger d’un sentiment de culpabilité face à mon plaisir qui me suit depuis 10 ans, c’est frustrant. C’est frustrant aussi de voir la déception dans les yeux et les gestes de mes partenaires qui se démènent corps et âme pour mon plaisir, souvent en vain, alors que mon plaisir, je ne l’ai même plus à cœur moi-même.
Je ne me laisse pas passer en premier. Jamais. Je donne, et quand on m’offre, j’en ressens un malaise, comme si je n’avais pas le droit, comme si j’étais une corvée ou une perte de temps inopportune. Parce que dans ma conception historique, « pour les garçons c’est normal, pour les filles c’est dégueulasse ». Et alors, en présence d’un homme, j’essaie de me laisser venir « pour lui ». Parfois, j’y arrive. Mais la majeure partie du temps, « j’échoue ». La pression est souvent trop forte. Mon désir et mes sensations corporelles s’évanouissent. J’en perds la notion du temps. Tout ça à cause de mes pensées qui tournent sans cesse. Je me dis que c’est trop long, qu’il va se lasser, que je prends trop de temps, que c’est de ma faute. Je me demande c’est quoi mon problème de ne pas arriver à profiter du moment. Je me reproche d’avoir bloqué l’orgasme quand je sentais qu’il allait venir, dix minutes plus tôt. Je réalise que je n’ai même pas remarqué qu’on a changé de position. Je me demande ce qui arriverait si je faisais tout simplement juste dire comment je me sens. Mais évidemment je ne le dis pas, parce que je me sens déjà assez coupable comme ça.
Quand je ressors de ce tourbillon de pensées, je n’ai plus envie. Et alors je donne à nouveau, sans laisser la possibilité qu’on m’offre quoique ce soit. Comme pour me faire pardonner. Parfois, le sentiment de vulnérabilité qui s’ensuit est tellement fort que j’ai du mal à parler après mes relations sexuelles. Ça me plonge dans un état d’inconfort total et ça me fait sentir profondément seule, même collée contre un amoureux ou un amant qui me joue doucement dans les cheveux et me dit de belles choses. Je précise, et je crois que c’est important, que je n’ai absolument pas l’impression que mes partenaires aient profité de ma vulnérabilité pour satisfaire leurs propres envies. Ça, c’est une toute autre chose sur laquelle j’aurais aussi long à dire, mais ce n’est pas ceci dont il est question ici. Mes partenaires n’ont aucune idée de tout ce qui me tourmente dans ces moments, et je fais tout pour ne pas le laisser paraître. Je me bats contre moi-même.
Je n’écris pas ce texte par besoin de réconfort, ni pour trouver conseil. Je sais très bien ce que je devrais faire : en parler à mes partenaires, à mes ami.e.s, consulter un.e sexologue, faire un travail psychologique supplémentaire lorsque je me touche, faire du yoga, de la méditation, boire du kombucha… Des solutions j’en ai plein.
Mais, j’avoue n’avoir rien mis de concret en œuvre pour régler complètement ce problème, faute de temps plus que toute autre chose. J’en ai par contre beaucoup parlé à mes amies, pour réaliser d’ailleurs que je ne suis pas la seule à vivre ce genre de situation inconfortable. Alors mon but ici, c’est de prévenir. Parce qu’il me semble qu’il y a trop de femmes dans mon entourage qui en sont à « chercher des solutions ». Des solutions à des insécurités sur le plan sexuel, qui sont pour elles aussi devenues de véritables fantômes, et qui auraient pu être évitées si on avait eu accès à une éducation sexuelle décente.
Alors, en mesure de prévention pour ce problème bien particulier : chères jeunes filles de 13, 14, 15 ans, 19 aussi, 12, 11, 25, n’importe quelle jeune fille / jeune femme qui est en train de découvrir son corps : tu fais bien ! Et si on te dit dans tes cours que les garçons se masturbent, et que chez les filles c’est rare, ben c’est pas vrai crime. On le fait nous aussi. On le faisait à ton âge aussi. Et si tu ne le fais pas, bien c’est parfait aussi. Ce qui l’est moins, c’est de laisser une conception sociale dépassée (encore plus aujourd’hui que quand j’étais au secondaire, je l’espère), avoir une répercussion sur notre santé mentale et sexuelle pendant des années.
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