Illustration : Laurène (@somepieceofsheet)
Avant toi, ce qui me rongeait, c’était l’urgence de ressentir du plaisir, de m’échapper de l’anxiété relationnelle que je vivais, ou de l’anxiété face à la vie en général. La sexualité mettait un baume sur mes blessures, et j’étais aveugle au fait qu’elle en ouvrait d’autres en même temps. Avec toi, j’ai découvert une autre facette de la sexualité.
Avant, je voulais juste voir si la sexualité, une soi-disant case à cocher à ce qu’une relation fonctionne à d’autres niveaux, était rayée sur la liste. En vérité, cette case à cocher relationnelle était caractérisée par l’engourdissement, le maquillage du vide présent dans l’essence même de mes relations. La sexualité venait apaiser les conflits, venait créer un sentiment de complicité et d’intimité qui étaient peu présentes dans d’autres sphères de ces relations. Je ne me sentais pas acceptée telle que j’étais, mais j’avais envie que ça fonctionne. J’allais vers des personnes qui ne correspondaient pas à mes besoins, alors je me servais de la sexualité pour ressentir des sensations fortes et masquer mes sentiments de doutes. Je courais à ma propre perte à travers ce critère que je croyais si primordial. Je ne connaissais pas mes besoins, alors je me dirigeais dans quelque chose de performatif, charnel et physique, parce que me sentir vue, comprise et acceptée me semblait tellement abstrait, presque intouchable. On m’avait dit que l’amour romantique, c’est le plus conditionnel qui existe : si l’autre faillit à son engagement ou n’entre plus dans le moule qu’on lui a façonné d’après nos propres attentes, l’amour s’éteint. Cela, aujourd’hui, est à mon sens complètement faux. À cause de ça, j’ai longtemps pensé que je n’avais pas d’espace pour être la moi imparfaite, vulnérable et ayant son plein droit d’exister. C’est probablement en partie ce qui me faisait performer au niveau sexuel aussi. C’est difficile de se concentrer sur son plaisir, sur son consentement, sur ses besoins et désirs, quand on a l’impression qu’on existe à travers les yeux réprobateurs et évaluatifs des autres.
Avec toi, j’ai finalement expérimenté le côté sacré de la sexualité. Celui où on est tellement plus que ce qu’on fait. On a appris à se connaître dans un contexte amical, ce qui a fait que pendant plusieurs mois je n’envisageais pas la sexualité avec toi. Ça m’a fait voir qu’on pouvait vivre d’autres étapes que de sauter dans le sexe tête première. J’ai tellement apprécié connaître ton amitié, ton écoute, tes passions, notre sens de l’humour au diapason et au rythme que personne d’autre autour ne semblait suivre.
Puis, un jour, c’est devenu de plus en plus évident que la sexualité ferait partie de notre relation. Je rêvais à toi, on se trouvait de plus en plus de raisons pour se parler et pour passer du temps ensemble. À un moment donné, j’ai simplement ouvert la discussion là-dessus avec toi, parce qu’on aurait dit qu’il fallait juste que la vérité sorte au grand jour. Cette discussion a permis de mettre des mots sur les non-dits qui nous habitaient tous deux depuis un moment, c’est-à-dire qu’on se voulait mutuellement à un niveau sexuel. Quelques jours plus tard, c’est arrivé. À mesure que j’enlevais mes vêtements, pour la première fois, je n’étais pas en train de les troquer contre ma combinaison symbolique de performatrice sexuelle. Mes vêtements étaient empilés sur le sol, et je suis juste restée nue, littéralement comme figurativement. Ton regard se posait sur mon corps, mais il me fouillait aussi de l’intérieur. J’avais l’impression que je pouvais enfin me concentrer sur mon plaisir, sur l’échange qu’on s’apprêtait à vivre, plutôt que d’avoir en tête une procédure détaillée de tout ce que j’aurais dû faire pour que tu sois satisfait d’avoir couché avec moi.
Ce n’était pas important, qui faisait quoi, à quel moment, ou de quelle façon nos corps étaient placés. Quand tu as étalé ta grande main contre ma joue, que tu as dirigé mon visage face au tien et que tu m’as dit que tu avais besoin de mes yeux, je me suis sentie vibrer jusqu’au fond de mes tripes. Je ne savais pas où on s’en allait après cette soirée, mais je savais à quel point cette relation sexuelle (et bien au-delà de sexuelle) était en train de changer ma vie. Je voyais que tes yeux, habituellement voilés d’un air impénétrable et difficile à saisir, étaient différents. À ce moment, ce voile dans ton regard était resté sur le plancher, quelque part dans le fouillis de nos vêtements. Je savais que toi aussi, tu te mettais à nu d’une nouvelle façon.
Puis, après cette soirée, j’ai continué à te côtoyer sans trop me poser de questions, moi qui avais pourtant tellement l’habitude de me projeter dans le futur. Je me dirigeais à tâtons et les yeux fermés dans un lieu pleinement éclairé, celui de l’évidence même que tu m’apporterais quelque chose qui était en train de complètement chambouler comment j’expérimente la sexualité.
Au fil du temps, et après ces années où nos débuts me semblent maintenant si lointains, j’ai compris que la sexualité n’est qu’une des choses qu’on vit ensemble, parmi tant d’autres qui nous permettent de nous aimer. J’ai compris qu’au-delà de la recherche de sensations fortes et si éphémères que peuvent apporter le sexe, il existe autre chose. Il y a le fait de ne plus se soucier de qui donne et qui reçoit, parce que la considération du plaisir de l’autre rend la sexualité si mutuelle et partagée. Il y a l’envie de se rapprocher sexuellement qui ne s’effrite pas à travers le temps, parce qu’au moment où la sexualité survient, on existe pleinement, au même titre que dans les autres sphères de notre relation. Il y a le fait que le sexe est infiniment meilleur, parce qu’en arrêtant de chercher le plaisir sexuel dans un orgasme qui dure quelques secondes et qui se termine si rapidement, on le laisse naturellement émerger d’un espace d’authenticité et de liberté qui est beaucoup plus permanent.
Pour tout cela, je suis tellement reconnaissante d’avoir croisé ton chemin.
Mystique
Mystique c’est celle qui unit plusieurs voix, plusieurs expériences, plusieurs personnalités. Elle change de peau pour porter le message de celles qui ont besoin de s’exprimer, qu’elles rejoignent l’équipe de façon sporadique ou qu’elles changent de médium d’expression artistique le temps d’un article. Mystique c’est un peu de chacune d’entre nous.
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