Illustration : Garance (@garancebb)
« Qui ne dit mot consent. »
J’ai dû dire cette phrase un nombre incalculable de fois dans ma vie, par habitude, parce que c’est une de ces phrases toutes faites qu’on dit parfois, sans trop se rendre compte de leur portée. Je l’ai dite pour la dernière fois y’a 2 ans, dans un moment ben banal. Genre j’ai posé une question et face à l’absence de réponse des gens avec qui j’étais, j’ai marmonné « bon ben, qui ne dit mot consent hein?! » pis j’ai pris la décision par moi-même.
Comme je disais, un moment ben banal. Sauf que j’ai été frappée cette journée-là par la vision tordue et malsaine du consentement qui était véhiculée par cette expression. J’étais flabergastée; est-ce que j’avais vraiment utilisé pendant les 21 premières années de ma vie une expression qui associe le fait de se taire et de ne pas protester au fait de dire oui, de consentir? J’ai décidé cette journée-là d’arrêter de dire cette phrase, parce que je crois vraiment à la force des mots, à l’influence du langage sur notre mode de pensée et notre développement en tant que personnes. Mais plus que ça, je me suis mise à porter plus attention à ce que je disais et ce que j’entendais autour de moi, pis je me suis rendue compte d’une chose : le sexisme ordinaire se cache partout dans notre langage.
On regarde tu un film de fille ce soir?
Hey, ça c’t’une job de gars!
Je devais avoir mis mes yeux d’homme, c’est pour ça que je le trouvais pas.
Être un homme d’affaire. Avoir une femme de ménage.
Appeler le plombier et aller chez la coiffeuse.
Faire des push-up de fille pour que ca soit plus facile.
Bon ok, mais what about la grammaire alors? On a tous et toutes appris au primaire que le masculin l’emporte sur le féminin. Même si y’a autant de femmes que d’hommes dans ton groupe, même si y’a ben plus de femmes, même si y’a juste un homme, même si c’est 1000 femmes et un chien, le masculin l’emporte sur le féminin, no matter what. Ça aussi ça envoie un beau message, hein?
Bon là, y’en a sûrement qui se dise que j’exagère, que c’est juste des histoires de bonnes femmes tout ça. Pis je comprends. Y’a pas longtemps je pensais ça moi aussi. Quand on a commencé le blogue, y’a vraiment fallu que les filles insistent pour que j’accepte de faire des efforts pour écrire dans un langage inclusif. Ça me faisait chier d’avoir à rajouter « ·e » ou « ·e·s » à la fin de certains mots, de changer la formulation de certaines de mes phrases. Je trouvais ça lourd, fatiguant, long, compliqué, désagréable, futile, insignifiant, alouette!
Mais ça va bientôt faire deux ans de ça et mon opinion a beaucoup évolué depuis. J’y ai beaucoup réfléchi, j’ai fait des recherches, j’ai lu des textes et des livres sur le sujet, j’ai regardé des entrevues, j’en ai discuté à droite à gauche, j’ai assisté à une formation pis j’ai ben fini par me rendre compte que c’était pas aussi lourd, fatiguant, long, compliqué, désagréable, futile et insignifiant que je le pensais.
En fait c’est même plutôt simple. Quand t’écris un mot qui peut autant renvoyer à une entité féminine que masculine, ben t’ajoutes « ·e » à la fin. Pis si c’est au pluriel, ben t’ajoutes « ·e·s ». Après y’a aussi plein de petits mots merveilleux et neutres qui ont été créés : iel, iels, toustes, elleux, celleux… Mais pas de stress ou d’obligation, c’est tout aussi bon de dire « il et elle » ou « celles et ceux ». J’ai aussi découvert récemment le point milieu, aka la ponctuation spécialement créée pour l’écriture inclusive. Seul point négatif (hihi) : y’a pas encore de raccourci facile sur les claviers pour l’écrire rapidement (sur Windows on parle de ALT+0183 et sur Mac de ALT+maj+F). Mais encore une fois, pas de stress, parce que le point normal et le tiret sont aussi acceptés!
Bon, pendant que je suis dans les détails techniques, je voudrais préciser que le but de l’écriture inclusive, c’est pas de tout féminiser tout le temps, c’est au contraire de neutraliser le plus possible nos paroles pour ne pas exclure des gens. Par exemple, le document sur les physiothérapeutes, les ergothérapeutes et les infirmières que j’ai eu à lire pour l’université, je l’ai trouvé ben ordinaire. Pourquoi est-ce que la section sur les infirmières – toute en rose soit dit en passant – serait écrite au féminin alors que les deux autres sont normales? Messemble que si j’étais un infirmier – ou un coiffeur, ou un secrétaire, ou un éducateur à la petite enfance… – j’aimerais ça ne pas me sentir comme un paria au sein de ma profession. Mais bon, j’dis ça j’dis rien.
J’aimerais aussi aborder le point de l’évolution de la langue. Parce que y’a plein de gens qui disent que de toute façon ça sert à rien de parler de tout ça, que les règles sont là pis qu’on peut pas les changer, alors autant faire avec. Mais quand on regarde ça, notre façon de parler à ben gros évoluée depuis l’époque des grands explorateurs, par exemple. Je suis pas sûre que Jacques Cartier aurait perçu la pertinence de mots comme ordinateur ou même téléphone, pourtant de nos jours ça serait une aberration de ne pas les inclure dans le dictionnaire. Alors, si on accepte d’adapter notre vocabulaire et de changer l’orthographe de oignon pour onion, pourquoi est-ce qu’on ne pourrait pas faire évoluer la grammaire pour nous inclure réellement tous et toutes dans nos phrases?
On dit des fois que derrière chaque grand homme se cache une grande femme. Je trouve ça ben beau de dire ça, ça donne un peu de crédit à l’incroyable travail que ben des femmes ont fait et font encore dans l’ombre des grands hommes de ce monde. C’est beau, mais faudrait peut-être aussi commencer à les mettre de l’avant un peu plus ces femmes-là. Pis est-ce qu’une méthode simple parmi tant d’autres de le faire serait pas de modifier un peu notre façon de parler et d’écrire? Parce que reconnaître explicitement, textuellement la présence de femmes dans un groupe, ça leur donne automatiquement plus de visibilité, plus de place, et donc plus de pouvoir.
Bref, ça semble peut-être futile comme débat. Une goutte d’eau dans l’océan. Mais justement, c’est tellement simple alors pourquoi pas faire un effort?! C’est pas si difficile d’ajouter quelques petites lettres à la fin de certains mots, de reformuler des phrases et de laisser de côté quelques expressions sexistes et dégradantes. En tout cas, moi j’y crois, alors je vais continuer de promouvoir la pratique de l’écriture inclusive autour de moi, même si ça veut dire que je vais probablement encore perdre des points dans mes travaux universitaires pour utilisation d’une ponctuation non reconnue par l’Office de la langue française.
Padmé
Étudiante en physio, Padmé écrit pour se vider la tête et faire avancer ses réflexions. Drivée par les questions de genre, elle refuse de se faire enfermer dans une image stéréotypée de la femme. La preuve, il n’est pas rare de la trouver les deux mains dans la graisse de vélo en train de chanter du Céline Dion à tue-tête.
Pour lire le dernier article de Padmé – Opération p’tite vite aux toilettes – c’est ici!
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