Florence (@femmes.sauvages)
À 26 ans, je me suis fait volontairement stériliser. Je n’ai jamais voulu d’enfant. En tout cas, pas biologique. Pour vrai, j’ai jamais été une grande fan des enfants, surtout des bébés. Pour moi, un jeune enfant ça fait juste pleurer, chialer, manger et chier. Ça fait plusieurs années que j’ai le même discours. Les enfants, ça fit pas trop avec ma vision de mon futur, surtout avec la carrière que j’ai. En plus, je ne veux pas faire subir une grossesse à mon corps, ma famille a un historique de problèmes de santé mentale, il y a beaucoup d’enfants qui ont besoin d’une famille et les changements climatiques rendent le futur bien incertain. Au final, je n’ai juste pas du tout le désir d’enfanter, ce qui est une raison suffisante en soi.
Mais ce discours-là n’est pas valable aux yeux de plusieurs médecins. Pas si je leur demande d’accepter mon choix de me faire stériliser. Quand j’ai mentionné à mon médecin de famille que je souhaitais me faire ligaturer les trompes à 24 ans, elle m’a simplement répondu ce n’est pas possible à ton âge. Quand j’ai rencontré une gynécologue, elle m’a même dit que à mon âge, je devais tester tous les moyens de contraception avant. Si vous saviez le choc que ça m’a fait d’entendre ça ! Je ne comprends pas la raison pour laquelle, selon elle, je devais être un rat de laboratoire et tester des moyens de contraception que je ne souhaitais pas utiliser. Est-ce que je peux vivre avec les conséquences de mes choix ? Oui, la stérilisation est permanente, mais un enfant aussi.
J’ai pris la pilule contraceptive pendant environ 10 ans. Ça m’allait vraiment, jusqu’à ce que j’aie des saignements, quoique légers, presque chaque jour. Lorsque j’ai arrêté la pilule, ces saignements ont pratiquement cessé. Sans hormones, j’avais aussi plus de libido, plus de sensations vaginales, plus de sensibilité au niveau des seins. Après quelques mois sans pilule contraceptive, j’ai senti le besoin de trouver un autre moyen de contraception parce que le condom contribue à me donner des vaginites. Évidemment, je ne voulais pas recommencer les hormones, du moins pas autant qu’avant. J’avais une peur bleue du stérilet en cuivre. Je me disais donc que tant qu’à avoir des hormones, il valait mieux qu’elles soient à un taux efficace pour prévenir une grossesse et que je n’aie pas un souci constant de devoir recevoir une injection. J’ai alors choisi le stérilet avec hormones, sans que je le veuille vraiment. C’était vraiment mon dernier recours… Et j’en ai pleuré abondamment dans le bureau de la gynécologue. Je voulais une solution plus concrète, la stérilisation, mais ça ne semblait même pas être une option.
À un moment, mon copain a envisagé une vasectomie au privé. Mais j’étais décidée à me faire opérer et je ne voulais pas dépendre d’une autre personne pour m’assurer que je ne tomberais pas enceinte, alors que c’était mon corps qui était en jeu. Et puis, on ne sait jamais ce que la vie nous réserve; peut-être que j’allais me séparer de mon conjoint un jour. C’est mon corps après tout… Pourquoi c’était si difficile d’en faire ce que je voulais ?
Le sentiment qu’on n’a pas d’autonomie décisionnelle sur son propre corps, c’est tellement fâchant. La première réaction des professionnel.les de la santé, en fait de la majorité des gens, c’était généralement de me rire au visage. On me disait que j’étais bien trop jeune, que je pourrais vraiment changer d’idée, surtout si je rencontre l’homme de ma vie et qu’il veut des enfants. First of all, l’homme de ma vie ne veut pas d’enfant. C’est quelque chose qui a été abordé en deuxième date avec mon copain actuel. Et s’il voulait des enfants, je n’aurais jamais formé un couple avec lui. Il en serait de même si je n’étais plus avec lui et que je rencontrais quelqu’un de nouveau. Vraiment agréable de sentir qu’un homme HYPOTHÉTIQUE a plus de poids dans une décision qui concerne mon propre corps.
La gynécologue qui m’a posé mon stérilet était la première docteure qui m’écoutait réellement concernant mes besoins et désirs niveau contraception. À bien y repenser, j’ai vraiment été chanceuse de tomber sur elle par hasard pour ma pose de stérilet à la clinique des jeunes. Je résidais dans une autre ville que mon médecin de famille, qui m’avait donc prescrit le stérilet par téléphone. Elle m’a dit, même si elle n’était pas personnellement à l’aise de me ligaturer elle-même en raison de mon âge, qu’elle essayerait de parler à ses collègues afin de voir si quelqu’un.e pouvait accepter de le faire.
J’ai donné sa chance au stérilet hormonal, dont les effets secondaires se faisaient tout de même ressentir, dans l’idée que c’était seulement temporaire. Environ trois mois plus tard, j’ai reçu l’appel de sa collègue pour qu’on discute de la chirurgie. Rapidement, elle m’a prise au sérieux et a accepté, non sans explorer toutes les avenues avec moi, de me mettre sur la liste d’attente pour la chirurgie, en précisant qu’il y avait une attente d’environ un an, et possiblement plus avec la Covid-19.
Environ 15 mois après cet appel, j’ai reçu un appel d’un autre hôpital, qui acceptait de prendre les prochains dossiers sur la liste d’attente puisqu’elle était longue. L’opération se ferait donc à une date plus rapprochée. Puisque j’avais déménagé et que ce nouvel hôpital était plus proche de chez moi, j’ai accepté. Je me suis quand même assurée que je ne perdrais pas ma place dans la liste d’attente si on me refusait au nouvel hôpital, avec un nouveau médecin, en raison de mon âge, comme plusieurs l’avaient fait. La médecin de cet hôpital a accepté, HALLELUJAH ! Quelques semaines plus tard, on m’appelait pour me demander si je souhaitais être opérée dans 10 jours. J’ai tout de suite accepté.
Mais dans les jours qui ont suivi, j’ai un peu paniqué. La théorie d’être stérile pour de vrai serait réalité dans quelques jours, et ça me donnait le vertige. Puisque ça semblait si inatteignable avant, c’était bizarre de croire que ça allait vraiment arriver. Et l’irréversibilité de tout ça m’a fait peur. Pas parce que je voulais soudainement des enfants, mais parce qu’une décision comme ça ne se prend pas à la légère. J’ai une difficulté notoire à prendre d’importantes décisions, donc quelque chose d’aussi sérieux m’a effrayée, même si je le voulais depuis des années. Et puis, c’était aussi un deuil à faire de la vision du futur que j’avais quand j’étais plus jeune. À l’époque, je croyais vouloir des enfants, parce que j’ai bien malgré moi internalisé le discours sociétal de ma génération, que c’est donc important, même essentiel, de se marier et d’avoir des enfants. Je devais accepter que ma vie ne serait pas comme je l’avais imaginée initialement, même si c’était par choix. Je me suis mise à croire momentanément les gens qui me disaient toujours que je changerais d’idée ; comme si un jour, après des années sans aimer les enfants, je me réveillerais avec le désir incontrôlable d’en avoir un.e de mes entrailles. J’ai eu peur de me séparer de mon copain et de ne pas retrouver quelqu’un qui ne voulait pas d’enfant. J’ai laissé la pression sociétale d’avoir des enfants qui repose sur les femmes hétérosexuelles s’engouffrer en moi quelque temps. J’ai pleuré, et je crois que cette hésitation était nécessaire et saine, puisqu’une décision aussi majeure ne pouvait pas se prendre à la légère. Et j’ai bien fini par réaliser que c’est vraiment ce que je voulais, et que je devais laisser les attentes et préoccupations des autres derrière moi. Je n’aurai certainement pas d’enfant pour plaire aux autres.
Ma chirurgie se nommait « salpingectomie bilatérale par laparoscopie ». En gros, ça signifie qu’on m’a enlevé les trompes au complet, et pas simplement fait une ligature. Ça permet d’assurer le caractère permanent de la stérilisation et de diminuer les risques de cancer. Par une incision dans le nombril, de l’air a été soufflé dans mon abdomen, pour avoir l’espace pour travailler, et une caméra a été insérée. Deux petites incisions, une proche de la hanche et une en haut du pubis, ont permis d’insérer les instruments pour couper et enlever mes trompes. Le tout s’est passé sous anesthésie générale.
La douleur qui s’en est suivie était vraiment moindre qu’anticipée. J’avais full prescriptions pour des antidouleurs, et je les ai à peine utilisées. Honnêtement, les choses les plus difficiles après la chirurgie, c’était le mal de gorge, dû à l’intubation, et la douleur aux épaules la première nuit, en raison de l’air qui avait été soufflé dans mon ventre. Et ne pas prendre de douche pendant 48H pour le bandage au nombril ! Enlever le produit de stérilisation rose fluo sur mon ventre et entre mes jambes à la débarbouillette, était un peu ardu. J’ai repris le travail quatre jours plus tard, en écoutant mon corps et en prenant le tout tranquillement.
Mon cycle menstruel a repris son cours normal après quelques mois, puisqu’ils m’ont enlevé mon stérilet au moment de l’opération. Ça m’a pris un moment pour réaliser que c’était vraiment arrivé. Après la première relation sexuelle non protégée, j’ai eu un moment de panique en me disant que j’allais tomber enceinte ! Maintenant, surtout, j’ai une pression énorme qui s’est évanouie de mes épaules : je n’ai plus à me soucier de la contraception, je n’ai plus la peur de tomber enceinte. La seule manière d’être enceinte, c’est de faire de la fécondation in vitro. Aucun accident possible là-dedans ! À mon rendez-vous de suivi, on m’a indiqué que tout avait bien guéri.
On dirait que plus le temps après ma chirurgie s’écoule, moins je suis en colère. Avant, je détestais les enfants, peut-être parce que mon désir de ne pas en avoir n’était pas pris au sérieux, et peut-être par réelle peur de tomber accidentellement enceinte. Maintenant, même si je n’ai évidemment pas développé d’amour instantané envers les enfants, c’est comme si j’avais une certaine sérénité, que je peux comprendre pourquoi les gens en veulent, même si je ne ressens pas ça. Comme si, avec les années, ne pas me faire prendre au sérieux avait mis un certain voile de colère sur tout le processus d’enfanter et d’avoir des enfants en bas âge. Et que je suis maintenant libérée de ce lourd poids.
Bref, même si le chemin était parsemé d’embûches et une réelle montagne russe d’émotions, à 26 ans, je suis devenue stérile par choix, et je suis très en paix avec ma décision. Et si le très peu probable regret tant anticipé par les professionnel.les de la santé arrive un jour, je préfère de loin regretter ne pas avoir d’enfant que regretter d’en avoir eu.
Mystique